Brève

Autoportraits (cachés)

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Publié le 01/12/2020
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« Tout peintre se peint », lance Cosme l'Ancien. L'aphorisme est cité à plusieurs reprises dans le beau livre de Pascal Bonafoux, riche d'une ample érudition mais délesté d'esprit de sérieux. Loin de la visite guidée pédante et qui se noie dans les détails, ce jeu de piste à la recherche des autoportraits de peintres dissimulés dans un tableau brosse à sa manière une autre histoire de l'art, celles des artistes qui visent, l'air de rien, à la postérité. Après les autoportraits de Rembrandt (voir Décision & Stratégie Santé N° 317) bouleversants témoignages sur la fuite du temps, cette chasse à l'Homme, à l'artiste dans ses propres œuvres, se révèle un exercice difficile en l'absence de preuves certaines. Les plus grands ont en fait cédé à ce désir, survivre dans la mémoire du spectateur à la fois comme auteur et acteur de sa propre peinture comme Michel-Ange ou Raphaël. Le plus souvent figurants, ils regardent en coin celui qui regarde le tableau. Simple jeu de miroirs ? Hans Memling pour sa part a opté pour le statut du regardeur. Il s'est ainsi figuré posant la main sur le bord d'une fenêtre et assistant au fond du tableau à la scène des rois se prosternant devant un enfant. Autre posture, dans les célébrissimes Noces de Cana (musée du Louvre), Véronèse se peint au premier plan au titre de musicien, en jouant de la viole de gambe. Parfois, la représentation de soi va jusqu'au sacrifice, à la tête coupée de Cranach l'Ancien en saint Jean Baptiste dans le Festin d'Hérode (Institut d'Art de Städel). La disparition en est le stade ultime. En témoignent les natures mortes de Clara Peeters (1594 ?-1657). On reconnaît un reflet d'un autoportrait imperceptible sur « l'étain poli d'un pot, sur le couvercle de métal d'un pichet » et Pascal Bonafoux de s'interroger : « Que les autoportraits de Clara Peeters sur le cuivre du bougeoir interdisent que l'on puisse la reconnaître… Comment un autoportrait peut-il être anonyme ? Impensable contradiction, absurde paradoxe. »

C'est en tout état de cause le fil tenu par Cindy Sherman tout au long de son itinéraire de photographe. L'exposition à la fondation Louis Vuitton, le catalogue qui en reproduit les œuvres traque ce jeu avec le je. Faut-il parler d'absurde paradoxe avec ces photographies de fiction où l'artiste multiplie les compositions, les maquillages, le travestissement avec pour seul sujet elle-même ? Pour autant, ce travail autour des stéréotypes, des clichés, instruit au final un procès pour faux et usages de faux. Marie Darrieussecq nous rappelle dans un des textes du catalogue que « toute femme est d'abord déguisée en femme ». Mais ce constat cinglant est ici aseptisé, sans force en donnant à voir des images propres, glaciales, en l'absence d’humour ou d'émotion. Les rôles de composition interprétés par Cyndy Sherman ne soulèvent aucune réaction chez le spectateur. L'art ici illustre au mieux un constat sociologique. Faut-il s'en contenter ? Peut-être pas. Dans une série des années quatre-vingt-dix intitulées Sex and Surrealist Pictures où l'artiste n'apparaît pas, les provocations, les images choquantes bousculent les frontières entre le masculin, le féminin et les âges. La photographie remet en jeu un pouvoir d'étonnement, de scandale. Tout photographe se photographie. Enfin !

Autoportraits cachés, Pascal Bonafoux, éd. du Seuil, relié, 240 pp., 39 euros. Cindy Sherman, Fondation Louis-Vuitton, catalogue d'exposition, éd. Hazan, 240 pp., 35 euros.


Source : Décision Santé: 323