Avicenne, le maître de toutes les choses de la vie

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Publié le 25/03/2021
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Brosser le portrait d’un mort, c’est pour le moins effrayant, surtout près de mille ans après l’évènement. En vérité, il n’est jamais trop tard pour faire connaissance. Même si l’on ne compte plus les mondes d’après qui depuis se sont succédé. En attendant, le parcours qui décrit les étapes d’une carrière, d’une vie dépeint avec précision l’ambition d’un esprit hors norme et l’esprit de son temps. Médecin et philosophe, guest star au sens propre, à savoir invité par toutes les cours qui comptaient alors, il a aussi été un grand voyageur traversant d’immenses espaces, d’Asie Centrale (Ouzbékistan) jusqu’en Iran. Mais pas vraiment par goût du tourisme. En l’absence de bourses, la sécurité matérielle reposait sur les mécènes. Et si les passions intellectuelles illustrent un âge d’or, qualifié d’islam des lumières par Omar Merzoug qui vient de consacrer une grande biographie à son héros (1), les temps politiques et religieux entre 980, année de naissance et 1037, décès d’Avicenne, sont fort troublés. Le conflit entre chiites et sunnites, les ambitions de souverains d’origine turque sont à l’origine de guerres de conquête. Toute ressemblance avec des faits d’aujourd’hui ne serait que pure coïncidence. Mais avant de se frotter aux malheurs de son époque, les années de formation témoignent d’une intelligence hors normes. Il faut imaginer la soif de connaissance d’un enfant surdoué, fils d’un préfet collecteur d’impôts. Il stupéfia d’abord son entourage par sa maîtrise du Coran. Mais cela n’était qu’une première étape. Il apprend ensuite le droit canon musulman, puis la poésie, la prose et la rhétorique arabe. Suivent l’initiation à la philosophie grecque et la découverte d’Aristote. C’est le choc et la découverte de la logique, cette science qui vise à rechercher le vrai. L’élève brillant passa ensuite à la géométrie d’Euclide. À 12 ans, il « domine toutes les sciences », écrit Omar Merzoug. Pourquoi ne pas se tourner ver la médecine ? Le mot arabe hakîm signifiant à la fois médecin et sage. Il apprend alors la médecine en autodidacte. En revanche, Avicenne n’est pas étouffé par la modestie. Dans son autobiographie, on peut lire : « Comme la médecine n’est pas une discipline difficile, j’y montrai promptement ma supériorité. » Il livrera plus tard Le traité de médecine qui sera lu en Occident jusqu’au XVIsiècle son fameux Canon. Quant à son grand œuvre philosophique, Avicenne l’intitule le Grand livre de la guérison. Les philosophes d’aujourd’hui n’ont plus cette ambition. Ils se contentent au mieux de consoler. Ce grand sage dont l’œuvre est multiple n’a pas refusé le choc avec la réalité. Nommé Vizir, l’aventure le mènera jusqu’au cachot. La politique est une affaire trop sérieuse pour être confiée aux philosophes. Cette vie dédiée à l’étude et au soin, n’a toutefois pas négligé les plaisirs. En rémission après une dysenterie qui l’emportera, son plus fidèle disciple note qu’il s’adonnait « plus que de raison » à la concupiscence. Avicenne érotomane ? En tout cas, cette vie libre célèbre toutefois la raison contre tous les rigorismes dogmatiques. Pourquoi alors n’aura-t-elle pas fait école ?

(1) Avicenne ou l’islam des lumières, Flammarion, 2021, 416 p. 25 euros.


Source : lequotidiendumedecin.fr