L'épidémie micro-nationaliste

Catalogne, fracture européenne

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Publié le 05/10/2017
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Tout le monde vous dira que la sécession catalane était prévisible et que le pouvoir central, à Madrid, a été négligent, ou indifférent, ou arrogant. Ce n'est pas faux, dans la mesure où l'énorme farce qu'a été le référendum a creusé un tel fossé entre Madrid et Barcelone qu'on ne voit pas comment il pourrait être comblé. On peut remonter, pour comprendre cet incroyable événement, au refus de la droite d'accorder à la Catalogne une autonomie élargie qu'avait acceptée le gouvernement de gauche de José Luis Rodriguez Zapatero. On sait aussi que la Catalogne est une nation, une langue, une économie. Pour absorber le choc des mini-nationalismes de la péninsule ibérique, peut-être eût-il fallu songer à ue solution fédérale. On se rappelle enfin que, lorsque les Basques espagnols se sont insurgés contre Madrid, ils ont recouru à la violence et que ce seul précédent aurait dû rendre plus prudent le gouvernement de Mariano Rajoy.

Lequel, ayant le droit et la légitimité pour lui, aurait dû éviter de réprimer les Catalans. Il l'a fait à la dernière minute en ripostant à l'ébriété nationaliste par la brutalité policière (900 blessés). Erreur fatale. Car, en somme, quelle valeur le référendum a-t-il ? Il a été réalisé dans des conditions si particulières, si désordonnées , si peu soucieuses de la loi que les résultats annoncés (la victoire du oui à l'indépendance) n'ont aucune crédibilité. Les Catalans, ou plutôt la majorité d'entre eux, car beaucoup sont tout à fait hostiles à la séparation, semblent penser, dans leur déraison, que le dépôt d'un bulletin dans l'urne est l'acte, fondateur et ultime, de la démocratie. Encore fallait-il que la Constitution espagnole le permît. Encore fallait-il que les non-Catalans d'Espagne eussent leur mot à dire. Encore fallait-il que la description d'une Catalogne soumise au pouvoir central, dépossédée de ses richesses, privée de ses libertés, corresponde à une quelconque réalité.

La fureur nationaliste

C'est pourquoi l'embrasement nationaliste paraît suspect à tous ceux qui croient encore que, dans nos démocraties européenes, la tentation sécessionniste reste habituellement au niveau verbal. Non seulement l'organisation de la consultation catalane est une imposture, non seulement la moitié des Catalans hostiles à l'indépendance ne se sont pas librement exprimés, mais cette fureur nationaliste qui a incendié la région semble bel et bien résulter d'une manipulation politique qui a combiné la victimisation, les accommodements avec le droit et une colère populaire sans doute sincère mais largement artificielle, pour que le président de la région, Carles Puigdemont, parvienne à ses fins. Il peut, bien sûr, en durcissant ses positions, avec la grève générale qui a été décidée, rendre la situation insupportable pour le gouvernement de M. Rajoy. Il peut aussi, ce que personne ne veut croire, déclencher une guerre civile. Mais ne sommes-nous pas tous étonnés par tant d'intransigeance (ou même de fanatisme) ? Ne faut-il pas y voir une forme aiguë d'intolérance à l'égard du pouvoir central, des autres régions, des autres peuples espagnols qui ne méritent sûrement pas autant d'aversion ?

Les instances européennes ont pris leur temps pour réagir, partagées qu'elles étaient entre le rejet de la cassure espagnole et l'émotion soulevée par la répression policière, geste à la fois inutile et ravageur. Mais elles ont déjà dit aux Catalans, ou plutôt à ceux qui prétendent les représenter, que l'indépendance de la Catalogne remettrait en question son appartenance à l'Union européenne. Aucun peuple ne peut se consumer dans la passion d'un instant et prendre en même temps une assurance pour l'avenir. Et il en va de la Catalogne comme la Flandre, la Lombardie ou l'Ecosse, qui songent à l'indépendance pour des raisons purement (et fiscalement) égoïstes. De ces jours fous que vit l'Espagne aujourd'hui, il reste une immense inquiétude européenne. Le nationalisme, a fortiori celui qui sectionne un Etat, c'est l'ennemi de la construction européenne, c'est une régression, un retour en arrière. On ne bâtit pas un si grand ensemble en reculant d'un pas après en avoir fait deux.

 

 

 

Richard Liscia

Source : Le Quotidien du médecin: 9607