Brève

Chardin, voire autrement

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Publié le 01/12/2020
culture

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L'incapacité à rendre compte de ce que l'on voit, l'échec de la parole ou du mot face à l'image, contrairement à ce qu'écrit Alexis Merle du Bourg dans sa très belle monographie consacrée à Chardin ne serait donc pas une fatalité. Le verbe, riche, élégant, somptueux allié à un regard panoramique qui balaie depuis le Siècle d'Or hollandais au XVIIe siècle jusqu'à Matisse et Malraux sonde une œuvre célébrée de magique en son temps mais qui résiste à toute tentative critique réductionniste. Ainsi, Chardin, le maître des natures mortes, serait un précurseur de l'abstraction. L'auteur s'insurge bien sûr de l'enrôlement du peintre dans cette histoire théologique de la peinture. Mais comment relier le mystère de ces scènes de genre, souvent des instants d'apprentissage et de communion familiale où flotte l'indécision des sentiments avec cette matière brute d'un gibier suspendu à un crochet qui laisse voir quelques traces de sang, témoignage d'une mise à mort récente ? L'une des clés serait peut-être cette manière de peindre une situation comme un fruit rouge, « plus évoqué que décrit », et d'explorer « la beauté du monde dans ses manifestations les plus ténues », les plus sensibles aussi. La belle iconographie réunie dans le volume permet au lecteur d'appréhender au mieux cette richesse grâce à des plans rapprochés ou à des zooms, et surtout à regarder autrement. Chardin était, paraît-il, un artiste qui prenait son temps, voire paresseux. Au lecteur désormais de suspendre son temps afin de rencontrer une œuvre peut-être exigeante et qui refuse une séduction facile. C'est à ce prix qu'elle a traversé les époques et nous saisit encore.

Chardin, Alexis Merle du Bourg, collection les Phares, éd. Citadelles & Mazenod, ouvrage jaquette et coffret illustrés, 384 pp., 350 ill. Couleur, 189 euros.


Source : Décision Santé: 323