Confrère, mon cher confrère, tu n’es qu’un petit garçon. Tu te croyais un homme plein de foi, d’espérance et non dénué de charité. Tu es un petit garçon plein de foi, d’espérance et non dénué de naïveté.
Te souviens-tu du jour béni où ton auguste mère, la Faculté, t’a décerné, pour couronner tes efforts, un remarquable parchemin (fait d’ailleurs de papier sulfurique) où avec émotion, étaient inscrits en lettres qui t’ont paru d’or : « les droits et prérogatives qui y sont attachés » y… ?
Attachés à quoi ? Quels droits ? Quelles prérogatives ?
Oh, à ce moment, tu n’étais point embarrassé pour répondre : « Les droits, Alma Mater, de me sacrifier à la cause commune. Les prérogatives, ô Faculté, de recevoir quelque récompense à mon développement ».
Confrère, tu es un gosse !
Confrère, en passant ta thèse, en revêtant l’auguste toge, tu n’as revêtu qu’un complet de voyage.
Encore ton voyage fut-il bien plus court que tu ne pensais. Tu croyais, ô naïf, partir dans l’Orient Express à la conquête des pays ensoleillés, par-delà les montagnes ! Tu pensais découvrir un lac immense, un azur sans fin, des huîtres pleines de perles, le tout accommodé d’un petit goût de devoir accompli et d’un fumet de sacrifice.
Les huîtres, tu les as découvertes : mais il n’y avait pas de perles dedans.
Le petit goût de sacrifice fut plus marqué que tu ne pensais.
Car, ô confrère, ce n’est pas dans l’Orient Express dans lequel tu es monté, ton rouleau de papier sulfurique en ta valise. Si tu as passé Bécon-les-Bruyères, - et je n’en suis pas sûr ! - ton wagon s’est arrêté à Paris-Plage ou au Crotoy. Là, tu as pu enlever tes souliers et tes chaussettes. Tu as pu patauger !
Et tu patauges encore, mon petit homme ; pendant ce temps, tu laisses la paix à tes parents qui te regardent en souriant et disent : « Quel enfant docile ! Qu’il est sage ! On ne l’entend même pas crier ! ».
Parbleu ! Tu as pris froid et tu es enroué !
Les crevettes des mares, ô confrère-bébé, sont petites. Ce sont de petits droits, de minuscules prérogatives ! Il faut croire néanmoins qu’à ces droits s’ajoutent des devoirs puisque ton grand frère ne te laisse même pas toutes tes crevettes.
La petite sauce de dévouement, elle est salée, n’est-ce pas, bambin ?
Parfois, il faut l’avouer, tu te fâches un peu. Mais toujours tu finis par reconnaître que les enfants doivent obéir à leurs aînés. Lorsque l’on veut obtenir dix crevettes de toi, on te menace d’en prendre cinquante : alors, tu en donnes vingt, et tu es content de ton marché.
Il y a beaucoup de choses que tu penses, mais tu n’oses pas les dire : écoute cette petite histoire.
Jean, le grand Jean, s’était un jour disputé avec Paul, le petit Paul. Le grand Jean, fort et robuste, avait appliqué sa semelle sur le derrière du petit Paul. Petit Paul est venu me trouver en pleurant.
- Qu’as-tu, petit Paul ?
- Jean vient de me battre. Il m’a donné un coup de pied.
- Mais tu lui as rendu ?
- Oh ! non. Je n’ai pas osé. Pourtant, je t’assure, Jean a bien vu que je n’étais pas content !
Confrère, tout le monde voit bien que tu n’es pas content. Et cela te suffit. C’est peu, pourtant.
Tu renâcles un peu, très peu, et tu tires très bien la charrette. On ne te demande pas davantage.
On ne te demande en somme presque rien : soigner les pauvres pour rien, les mutilés pour pas davantage, les assurés pour un peu moins.
Payer des impôts avec tes gains scandaleux.
Monter des étages.
Les descendre.
Après, pour te récompenser, tes parents te donneront deux sous d’avant-guerre ! Deux sous-or en papier !
Et tu n’es pas content ?
Tends ton derrière, gamin, tends ton derrière !
(M. Boutarel, Paris Médical, 1926)
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