Après la rencontre « historique » de Kim et Moon

Corées : la détente surprenante

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Publié le 03/05/2018
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Corées : la détente surprenante

Corées : la détente surprenante
Crédit photo : AFP

La perplexité face à la politique en zigzags de Kim Jong-un ne résiste pas à la réalité des faits. Il a accompli, en direction de la Corée du Sud, des gestes pacifiques. Il a rencontré le président sud-coréen, Moon Jae-in, qui, certes, est exactement le contraire d'un va-t-en-guerre mais garde le sens des intérêts de son pays. Il a proposé de démanteler ses installations nucléaires sans encore préciser ce qu'il demande en échange et un peu comme si sa seule ambition n'était pas de faire de son pays une puissance nucléaire mais d'obtenir un accord de paix pour le protéger. Il a même pris le soin de rassurer le gouvernement japonais qui craint que toute cette choréographie pacifiste le laisse nu face un adversaire particulièrement dangereux. 

La suite de l'histoire dépend bien sûr de la capacité des Etats-Unis à offrir à Kim ce que celui-ci attend d'eux et qu'il n'a pas encore précisé. Le président Trump rencontrera bientôt, au plus tard en juin, le dictateur nord-coréen. Leurs entretiens pourraient avoir lieu soit en Mongolie soit à Singapour. M. Trump a encouragé, appuyé et même applaudi les avancées réalisées par les deux leaders coréens. Son nouveau secrétaire d'Etat, Mike Pompeo, considéré comme un faucon, est sur la même ligne politique que M. Trump. Il ne peut pas en aller autrement dès lors que Kim se contente pour le moment de prendre des décisions qui vont dans le sens de la paix sans exiger de contreparties.

Nombre d'observateurs estiment que la promesse de Trump de déverser sur la Corée du Nord « le feu et la fureur » des armes américaines les plus destructrices a convaincu Pyong Yang d'arrêter l'escalade, comme un gamin qui se brûle les doigts en jouant avec des allumettes. Une telle analyse n'est conforme ni à la psychologie du personnage, ni aux moyens qu'il s'est donnés pour exercer sur l'Amérique une pression maximale qui, d'ailleurs, n'est pas restée sans effet : les Américains ont eu peur. Le fait est que la Corée du Nord est le seul pays de la région qui, étant pauvre et dépourvu, a le moins à perdre dans un conflit grave. Tous les autres pays, la Corée du Sud, le Japon, mais aussi la Chine, ont quelque chose à perdre : leur prospérité et leur développement économique et commercial.

Un voyage à Pékin

La Chine, il est vrai, se conduit, sous l'autorité désormais implacable de Xi Jinping, d'une manière dominatrice, en revendiquant des îles et une influence maritime qui ne lui appartiennent pas vraiment. Mais elle ne veut pas d'une guerre à ses portes car celle-ci freinerait, ou oblitèrerait, son expansion alors qu'elle s'efforce, par une croissance encore vigoureuse, de dépasser les Etats-Unis et de devenir la première puissance du monde. Il ne faut pas oublier que l'incroyable succès de la croissance chinoise, c'est principalement le marché américain. S'il se fermait aux exportations chinoises, Xi ne pourrait maintenir le taux actuel de développement de son pays.

Il y a quelques semaines, Kim a fait à Pékin un voyage qui n'a été révélé qu'à son retour à Pyong Yang. Pourquoi ne pas supposer que Xi a fait la leçon à Kim et lui a même dit sans ménagements que son barnum nucléaire affaiblissait la sécurité de la Chine et menaçait ses intérêts ? Pourquoi ne pas imaginer que le gouvernement chinois a demandé à la Corée du Nord de procéder à des démarches allant dans le sens dune détente immédiate, sans attendre la réciprocité américaine, qui peut être négociée ?  Le soudain angélisme d'un régime qui, dans la menace et l'insulte, a dépassé jusqu'à présent tout ce à quoi l'on était habitué, peut contenir un piège. Les Américains avanceront dans la négociation avec la prudence que leur inspire leur aversion idéologique pour Pyong Yang.

 

 

Richard Liscia

Source : Le Quotidien du médecin: 9662