Coronavirus : les médecins coordonnateurs s'organisent pour éviter l'hécatombe dans les EHPAD

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Publié le 24/03/2020
Couloirs d'un Ehpad

Couloirs d'un Ehpad
Crédit photo : BURGER/PHANIE

La propagation du coronavirus dans les Ehpad génère de grandes inquiétudes. L'ARS du Grand Est a fait état lundi d'une vingtaine de morts dans un établissement de Cornimont (Vosges). Dans le Doubs, un Ehpad de Thise comptabilisait lundi quinze décès attribués au Covid-19. Sept nouveaux patients en seraient également morts à Sillingy (Haute-Savoie). Pour éviter l'hécatombe dans ces établissements hébergeant des personnes âgées, le syndicat des médecins coordonnateurs d'Ehpad - qui dépend de la Confédération syndicale des médecins de France (CSMF) - appelle les acteurs à s'organiser pour la protection des résidents mais aussi des soignants.

Le Dr Pierre-Marie Coquet, généraliste à Maubeuge (Nord) et président du syndicat des "medco" déplore que le personnel n'ait pas été suffisamment fourni en matériel de protection. « Depuis le début de l'épidémie, nous avions prévenu que le virus n'arriverait pas en Ehpad par les familles en visite mais bien par le personnel », constate-t-il, en colère. Le ministre de la Santé Olivier Véran a annoncé hier lundi la livraison de 20 millions de masques pour les hôpitaux et les Ehpad, dont un demi-milion pour les maisons de retraite cette semaine. Une mesure qui semble tardive au vu du nombre de résidents déjà contaminés.

Réorganisation de toute la prise en charge en ville

Sur le terrain, les généralistes n'ont pas attendu de recommandations gouvernementales pour organiser la prise en charge des patients en Ehpad et plus largement dans les cabinets médicaux de ville. « Chaque med co de chaque territoire doit s’organiser avec ses services de référence, ses médecins traitants, son ARS par l’intermédiaire de son URPS, avec les directeurs d’établissement sachant que l’organisation venue d’en haut est toujours très longue à mettre en place », explique le Dr Coquet.

Sur son territoire de Maubeuge, le Dr Coquet a réorganisé les soins avec ses équipes pour s'adapter à la période d'épidémie. « L'important, c'est d'abord la communication. Nous avons créé plusieurs groupes sur l'application Whatsapp pour que tous les professionnels de santé puissent échanger. Nous avons également de très bons échanges avec l'hôpital de Maubeuge, où une quarantaine de généralistes se relaient habituellement dans une maison médicale de garde (MMG) annexée au service d'urgences ». Ainsi, la MMG de l'hôpital de Maubeuge a rapidement été dédiée aux prises en charge de patients Covid-19 et avec des praticiens entièrement équipés de masques, blouses, gants,... 

Pour le Dr Coquet, il faut non seulement réorganiser la prise ne charge en médecine générale mais aussi dans les Ehpad. Se basant sur les remontées de terrain du Dr Cécile Duru, médecin coordonnateur de l'hôpital de Crépy-en-Valois - où les premiers cas de coronavirus chez des résidents ont été enregistrés début mars (58 cas sur trois Ehpad) -le praticien préconise « d'éloigner les résidents symptomatiques de l'établissement et de masquer tout le monde ». Le généraliste, par ailleurs élu CSMF au sein de l'URPS des Hauts-de-France formule ainsi plusieurs recommandations pour les établissements, toujours basées sur la situation vécue par les coordonnateurs dans l'Oise. « On remarque qu’ils ont réussi à stopper l’évolution de la contagion à tout va avec les transferts et les mesures barrières », précise-t-il.

Signes cliniques observés en Ehpad 

Chez les résidents de l'Oise, les symptômes observés sont divers mais « la fièvre n'est pas majeure » :  « fébricule, infection respiratoire, asthénie, anorexie, altération de l’état général, agueusie, anosmie, syndrome confusionnel inexpliqué, syndrome pseudo-grippal, infection ORL » reviennent particulièrement. Dans ces cas « l’isolement est de rigueur, bien sûr avec un saturomètre dédié, un thermomètre voire un stéthoscope », précise le syndicat. Une attention particulière doit être faite à partir du 7e jour « si les symptômes précédents n'ont pas emporté les plus fragiles ».  Des cas de pneumopathie hypoxémiante peuvent alors être observés « nécessitant des mises sous Oxygène à 15 litres/ minute ». Au 10e jour, « peut également survenir une IRA grave irréversible malgré une oxygénothérapie majeure. Le décès survient alors dans les 2 jours »

Autre point précisé par le Dr Coquet, si des cas plus jeunes observés en ville nécessitent une réanimation par intubation, « nous ne ferons pas ventiler nos personnes âgées ni à l’optiflow, ni à la vni, car cela ne sert à rien. Le syndicat des médecins coordonnateurs recommande par ailleurs de ne pas utiliser non plus les extracteurs. « Là ça devient compliqué puisqu’un obus d’O2 tient 45 minutes à 10 ou 15 litres », constate le généraliste. 

Transfert des résidents vers l'hôpital et renfort des mesures barrière

Une autre recommandation formulée grâce au témoignage des médecins coordonnateurs de l'Oise est le transfert le plus rapidement possible des résidents symptomatiques vers des lits d'hospitalisation compassionnels « pour éviter les clusters et mettre en place des mesures barrières plus drastiques ». « Tant que les services de SSR dédiés au Covid ne sont pas remplis, il faut y envoyer les résidents infectés », estime le Dr Coquet joint par Le Généraliste. Une mesure qui se justifie d'autant plus selon lui que certains Ehpad ne bénéficient pas de dispositif d'oxygène « au mur » pouvant prendre en charge les patients âgés qui décompensent et que des établissements n'ont pas d'infirmière de nuit pour prendre en charge les fins de vie. Le syndicat des médecins coordonnateurs partage dans un communiqué le témoignage du Dr Cécile Duru dans l'Oise à ce sujet : « Dans la solution du SSR la situation aurait été ingérable… Je pense que tout soignant symptomatique ou positif doit être rapidement éloigné, c'est peut-être une de nos erreurs de la première semaine mais nous ne savions pas grand-chose »

Les premiers retours d'expérience de l'Oise permettront-ils se limiter la casse dans les autres Ehpad de l'hexagone ? C'est ce qu'espère le syndicat des médecins coordonnateurs de la CSMF en diffusant ce retour d'expérience. Les semaines à venir seront les plus difficiles dans la gestion de la crise sanitaire et le Dr Coquet assure que l'important est aussi de limiter la contamination du personnel soignant. « Nous sommes déjà dans une zone rouge au niveau de la démographie médicale, nous ne pourrons pas nous permettre de perdre des généralistes », conclut-il.


Source : lequotidiendumedecin.fr