Invité par Le Généraliste à apporter son témoignage dans le cadre d'un dossier sur la gestion de la crise du coronavirus dans les Ehpad, le Dr Pascal Meyvaert (photo ci-dessous), médecin généraliste coordonnateur dans deux établissements (territorial et public) dans le Bas-Rhin — un des premiers départements français touchés par l'épidémie — relate comment les équipes se sont mobilisées pour y faire face.
« Tout a commencé début mars et est allé très vite. Nous avons pris un tsunami. C'était iréel, on avait l'impression d'être dans un film de science-fiction. J'ai fermé l'accès à l'Ehpad le 6 mars. On était pauvres en matériel de protection et de masques. Le système D s'est mis en place pour en trouver. Mon premier cas Covid a été repéré le lundi 16 mars. Les services d'urgence ne l'ont pas pris. Submergés, ils ont fait le choix de privilégier l'accueil de patients plus jeunes. Ce monsieur est décédé à l'Ehpad. On a fait une entorse pour que son fils puisse le voir une dernière avant qu'il ne parte, en le protégeant avec le peu de matériel dont on disposait.
Jusqu'au vendredi 20 mars, nous n'avons pas pu réaliser de tests à l'hôpital ou en labo. Un jour, un labo de ville m'a prévenu que deux tests étaient à disposition. Nous avons dû choisir quels résidents tester… les deux étaient positifs. Les équipes ont alors pris la mesure ce qui se passait. En leur parlant dans le hall, j'ai été frappé par le nombre de gens qui toussaient. C'était une hécatombe, avec de plus en plus de malades chez les résidents et les personnels. Le 22 mars, un vieux patient a fait une décompensation respiratoire. Nous l'avons vu s'étouffer, comme s'il se noyait. Le personnel a été très marqué. Les pompiers l'ont pris en charge et l'ont mis sous oxygène. Il est décédé quelques jours plus tard à l'hôpital. On a compris très vite que l'on devrait se débrouiller seuls. Les cas symptomatiques étant déjà trop présents, nous n'avons pas mis en place d'unité Covid.
On a adopté une prise en charge de "marche en avant" en commençant les soins et le nettoyage par les asymptomatiques pour finir par les symptomatiques. En sous-effectifs avec une partie de personnel malade, c'était compliqué. On ne trouvait pas d'oxygène et on peinait à trouver du paracétamol ou des anxiolytiques. On a beaucoup échangé entre médecins grâce à des groupes Whats'App. Les médecins généralistes ont bien réagi. La majorité n'est plus venue sur place mais ils ont gardé le contact avec nous et ont participé à l'effort en favorisant notamment les téléconsultations par téléphone ou via un réseau social.
Sur 120 EHPAD du Bas-Rhin, 90 ont été touchés par au moins un cas. J'ai dû prendre des décisions dans l'urgence, cela a entraîné un stress phénoménal. Je n'ai jamais signé autant de certificats de décès en si peu de temps, plus de 15 résidents sont morts dans les deux établissements dans lesquels j'interviens. C'est lourd, d'autant qu'il s'agit parfois de patients que je suivais depuis longtemps et je connaissais bien. »
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