Les adorateurs de l'orthographe, qui voudraient qu'elle soit figée pour l'éternité, ne décolèrent pas. Ils ne comprennent pas que des décisions prises en 1990 par l'Académie reviennent sur le tapis. À l'époque, 2 400 changements avaient été prévus, notamment la suppression des traits d'union dans de nombreux cas, l'adaptation de l'orthographe à la phonétique (par exemple, ognon au lieu de oignon), la suppression partielle de l'accent circonflexe, vestige, ou plutôt fétiche des conservateurs, et quelques règles sur le participe passé et le pluriel des mots composés.
Ce qui est surprenant, c'est que l'on songe à changer l'orthographe dans une période historique caractérisée par sa dégradation. Dès lors que les cancres ne sont pas capables d'apprendre les mots, les conjugaisons, l'ordre des phrases, facilitons-leur la tâche et proposons-leur une orthographe plus proche de ce qu'ils entendent que ce qu'ils lisent. La question ne porte nullement sur la pérennité du langage. Le français, comme toutes les langues évolue avec le temps, il subit des influences étrangères (elles-mêmes sujettes à polémique), il invente tous les jours des mots nouveaux, il en abandonne quelques-uns, il s'épanouit dans une modernité de la vie qu'il doit accompagner nécessairement.
Un changement qui n'est pas naturel.
Le problème n'est donc pas le changement, c'est le changement qui vient d'en haut, qui est imposé et qui consiste à modifier artificiellement le langage. Du coup, sont récompensés ceux qui ont du mal avec les règles de grammaire, de syntaxe et d'orthographe qui le régissent et punis ceux qui, au prix de quelques efforts pendant leur jeunesse, ont fini par le maîtriser.
Tous les hommes et femmes, écrivains, journalistes et même rédacteurs de lettres ou de messages professionnels, qui se targuent de bien écrire sont, bien sûr, fiers de leur avantage et, au fond, pensent qu'ils appartiennent à une classe ou à un clan élitiste. Ce qui les conduit à défendre avec vigueur l'ordre établi. Je n'en disconviens pas, pas plus que je ne cacherai mon appartenance à ce groupe. Mais il faut nous comprendre : un langage réformé, ognon, taliatelle, paélia, risque de devenir énigmatique pour celui qui pense oignon, tagliatelle, paella. Bref, ce qui nous semble recommandable, c'est que l'Éducation nationale augmente ses efforts pour faire respecter l'orthographe actuelle et qu'elle laisse la réforme de 1990 dans les tiroirs. D'autant qu'il a été décidé que les mots réformés seront valables dans les deux orthographes, l'ancienne et la nouvelle.
Fort heureusement, la lâcheté généralisée des pouvoirs publics et celle de l'Académie aussi qui, après tout, est reponsable de la réforme de 1990 nous permettent d'espérer que nous n'irons pas trop loin dans le saccage de la langue. Le français est le produit de l'histoire et d'une civilisation. Il a des racines gréco-latines. Il est d'une précision infinie. Et chaque mot a un sens qu'un mot comparable n'a pas tout à fait.
Enfin, comme tout langage, c'est le véhicule de notre littérature et, soyons sérieux, nous n'allons pas enseigner Victor Hugo à nos enfants avec une orthographe réformée. Nous n'allons pas non plus leur faire découvrir la beauté de notre langage en le simplifiant à l'outrance et en l'adaptant à l'indigence de cette partie de la jeunesse qui a du mal à suivre et à entrer dans des complexités littéraires qui sont, pour d'autres, le vecteur du plaisir de lire. Comme avec les classes bilangues, le ministère de l'Éducation a tendance à vouloir simplifier l'enseignement pour le rendre accessible aux enfants qui ont du mal à suivre. C'est une immense erreur stratégique. Bien connaître le français, c'est s'assurer un avenir. C'est être capable de comprendre ce qu'on lit, d'avoir un lien avec tous les francophones, de s'exprimer d'une manière digne et de partager cette dignité avec d'autres.
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