Dans la continuité d’une carrière de comédienne, Emmanuelle Grangé a publié en 2017 un roman remarqué, « Son absence », autour du désarroi d’une famille après la disparition, volontaire et définitive, d’un des fils. Dans « les Amers remarquables » (1), elle esquisse le portrait de sa mère Gabrielle, partie à plusieurs reprises de la maison. La première fois, au début des années 1960, ils habitaient à Berlin, le petit frère de la narratrice marchait à peine, et son père, homme de rigueur et de routine, n’avait rien vu venir. Le temps a passé, les fugues se sont succédé, Gabrielle revenant toujours. Jusqu’à ce que le couple s’installe, à la retraite, à Arcachon. L’épouse de diplomate réduite au rôle de mère au foyer alors qu’elle aimait avant tout nager dans la mer, avait enfin trouvé son élément, mais trop tard. Un beau récit filial, porté par l’amour et hors de tout jugement. La peur de l’abandon, le manque de repères pour grandir lorsque rien n’est jamais sûr n’apparaissent qu’en filigrane.
La question que pose Sylvie Le Bihan (« L’Autre », « Qu’il emporte mon secret ») dans « Amour propre » (2) est dérangeante : a-t-elle aimé ses enfants ? Giulia, qui avait été laissée dès sa naissance aux seuls soins de son père et qui, après avoir élevé ses trois enfants quasiment seule, attend le moment où elle pourra enfin se réapproprier sa vie, a-t-elle été une mauvaise mère ? Au mitan de sa vie, alors que sa fille fait des études de médecine et que ses deux fils terminent le lycée, Giulia, qui enseigne l’italien – la langue de sa mère – à l’université et est spécialiste de Malaparte – l’auteur favori de sa mère –, part seule à Capri. Elle veut comprendre ce qu’elle doit à l’absente et ce qu’elle a légué à ses enfants qui ont grandi en sa seule présence. Quelle mère a-t-elle été, quelle éducation a-t-elle reçue, a-t-elle donné ? Comment vivre avec l’intime conviction qu’avoir des enfants ne vous a pas épanouie ?
L'amour face aux obstacles
Tina Kieffer, qui a été sur tous les fronts de la mode (elle a été journaliste à « Cosmopolitan », a créé le magazine « DS » et dirigé pendant dix ans « Marie-Claire ») et de la télévision (notamment dans l’émission « Frou-frou »), est aussi une mère et plus que cela. Elle avait quatre enfants lorsque, visitant un orphelinat au Cambodge en décembre 2004, elle a croisé le regard d’une petite fille de 3-4 ans, Chandara, qu’elle a aussitôt décidé de faire venir en France et d’adopter. L’histoire ne s’arrête pas là, car, dans la foulée, la chroniqueuse s’est lancée dans une course aux fonds et une chasse aux parrains pour fonder l’association Toutes à l’école, qui scolarise aujourd’hui 1 400 petites et jeunes filles au Cambodge. Des aventures qu’elle révèle dans « Une déflagration d’amour » (3).
Née en Auvergne de parents immigrés d’Algérie, Dalie Farah est professeure agrégée en classes préparatoires près de Clermont-Ferrand. Elle raconte sa mère enfant dans les montagnes berbères, entre une mère qui pensait mater à force de raclées cette délurée de Vendredi – c’est son nom – trop belle et indépendante, et un père berger torturé et tué par des tirailleurs. Mariée à 15 ans à un cousin veuf, Vendredi traverse la Méditerranée, fait des ménages et des enfants, dont la narratrice, qui grandira « Impasse Verlaine » (4), à Clermont-Ferrand, dans les années 1980. Cette dernière est le « nègre » de sa mère, chargée de remplir les dossiers administratifs de la maison et des voisins, de l’aider dans son travail de concierge, de cuisiner…, autant de tâches qu’elle s’efforce d’accomplir à la perfection afin d’éviter les coups. L’école seule –ou plutôt les livres, parce qu’on fait semblant d’ignorer les marques de violence – lui permet de tenir. Au lendemain de ses 18 ans et le bac en poche, elle s’enfuit par la fenêtre. Associant humour et poésie, Dalie Farah parvient à adoucir le tableau de cette enfance hors norme, de cet amour paradoxal et brutal qui liait la mère à sa fille. Un formidable premier roman.
Psychologie ou suspense
Psychologue clinicienne et psychanalyste, Malvine Zalcberg vit à Rio. Après « Qu’est-ce qu’une fille attend de sa mère ? », elle explore à nouveau le mystère de la féminité avec « Devenir femme, de mère en fille » (5), un livre original parce qu’il s’appuie sur de très nombreuses figures mère-fille représentées au cinéma. À travers une centaine de films, l'auteure analyse comment mères et filles se perdent et se retrouvent, se combattent et se réconcilient pour acquérir leur identité féminine, dans une construction mutuelle. Un ouvrage en technicolor, où apparaissent même des clés pour éviter ou résoudre certaines difficultés de ces relations complexes.
La reine du polar américain Karin Slaughter brosse, dans « Son vrai visage » (6), deux portraits de femmes complexes, à l’image de l’intrigue : ceux d’une mère, Laura, la cinquantaine, divorcée, orthophoniste, et de sa fille de 30 ans, Andy, qui multiplie les échecs. Alors que Laura essaye de provoquer les confidences d’Andy sur son mal-être lors d’un déjeuner, un homme armé fait irruption dans le restaurant. Pour protéger sa fille, avec méthode et sang-froid, Laura désarme et abat le tireur puis ordonne à Andy de fuir. Qui est réellement Laura ? Il faudra à la jeune femme un éprouvant voyage dans le passé pour rassembler les morceaux épars de la vie de sa mère et découvrir qui elle est vraiment.
(1) Arléa, 164 p., 17 € (2) JC Lattès, 250 p., 18,90 € (3) Robert Laffont, 240 p., 20 € (4) Grasset, 218 p., 18 € (5) Albin Michel, 440 p., 21,90 € (6) HarperCollins, 572 p., 20,90 €
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