Liens et conflits d’intérêts

Des règles de transparence et de bonne conduite

Publié le 18/03/2013
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COMMENT gérer au mieux la question des liens et des conflits d’intérêt dans le domaine de l’expertise sanitaire ? Cette question est au cœur d’une large réflexion menée par la Société Française de dermatologie (SFD). « C’est une question importante. Elle nécessite de se fixer un certain nombre de règles de transparence et de bonne conduite. Mais, selon moi, il faut d’abord miser sur l’intelligence collective qui constitue le meilleur rempart contre l’influence des vrais conflits d’intérêts », explique le Pr Olivier Chosidow, président de la Société française de dermatologie (SFD).

Pour ce dernier, il convient d’abord de faire une distinction entre les liens et les conflits d’intérêt. « Cela passe par une règle de transparence totale. Pour moi, dès qu’on ne déclare pas un lien, cela devient un conflit. Il faut aussi tenir compte du fait que les liens et les conflits d’intérêt ne se limitent pas aux seules relations avec l’industrie pharmaceutique. Certains professionnels peuvent avoir des liens institutionnels ou avec des pairs. Tout cela doit être connu », indique le Pr Chosidow, en soulignant la nécessité de trouver un juste milieu de la gestion des liens d’intérêts. « Quand un expert a des relations trop étroites et directes avec une firme dont l’un des produits est examiné par une agence sanitaire, il est normal qu’il ne puisse pas participer à la discussion. Mais si cet expert a une expertise reconnue dans le domaine concerné, on se prive aussi d’un avis qui pourrait être utile. Tout cela n’est donc pas simple. Surtout que la gestion d’un lien d’intérêt est très variable d’une personne à l’autre. »

Pour une déclaration individuelle et unique.

Une première mesure, selon le président de la SFD, serait la mise en place d’une déclaration individuelle et unique pour tous les médecins pouvant être utilisée par l’ensemble des agences sanitaires et des sociétés savantes (ainsi que par les revues scientifiques). « Cette déclaration pourrait être rendue accessible à tous à condition que chacun soit en mesure de faire la différence entre le lien et le conflit. Et sans conclure de manière systématique que toute prise de position sur tel ou tel sujet est nécessairement influencée par un lien avec tel ou tel laboratoire. Il est possible d’avoir un avis sur un sujet sans être étiqueté aussitôt comme " vendu " à l’industrie. Cela rend nécessaire une hiérarchie des liens d’intérêt car ce n’est pas la même chose, selon moi, d’avoir des actions en bourse dans un laboratoire que d’accepter un financement déclaré et raisonnable pour aller à un congrès scientifique dont la qualité est démontrée », indique le Pr Chosidow. Il va falloir faire preuve de pédagogie au niveau du grand public pour expliquer tous ces enjeux.

Le président de la SFD plaide aussi pour une plus grande transparence au niveau des publications scientifiques. « Il arrive que dans certaines publications, parfois de bon niveau, sur un médicament, les premiers signataires n’aient tout simplement pas écrit l’article (« ghost writer »). Cela pose un réel problème et je pense qu’il faudrait adopter un code de bonne conduite dans ce domaine .»

Les atouts d’un centre de ressources et de preuves. Enfin, le Pr Chosidow estime que, pour apprécier la réalité des effets secondaires d’un produit, la seule analyse de la littérature ne suffit pas. « Parfois, il existe des effets secondaires qui sont rapportés par les agences et qui ne sont pas publiés. Ce qui peut aboutir à sous-estimer les risques d’un médicament. Une des manières d’agir serait d’avoir une organisation très large de la recherche de données. Je pense qu’il serait notamment souhaitable d’avoir accès aux données de l’assurance-maladie qui permettraient également d’apprécier le bon usage des produits de santé », indique le Pr Chosidow, en précisant que l’un des objectifs du Conseil de coordination de la dermatologie (CCD) sera de mettre en place, en lien avec la HAS, un centre de ressources et de preuves en dermatologie qui puisse produire des aides à la décision.

Prescriptions hors AMM.

Pour le président de la SFD, il faut se fixer des règles pour les prescriptions hors AMM. C’est ce qu’il indiquait à la mi-février dans un éditorial de la newsletter de la SFD. « Il me semble qu’un certain nombre de prescriptions sont réalisées hors AMM car le marché de la dermatologie est étroit, et que les industriels n’ont pas souvent fait le choix d’effectuer des essais thérapeutiques dans les domaines de prescription quotidienne. C’est pour cela que je propose au nom de la Société française de dermatologie, d’établir, pour les prescriptions hors AMM les plus fréquentes, des aides à la prescription et des recommandations afin d’avoir un document de référence établi. En ce qui concerne l’acné, j’ai également proposé que la Société française de dermatologie aujourd’hui, et le CCD j’espère demain, actualise les recommandations de 2007 de l’ex AFSSAPS qui, par essence, (je n’ose dire par conflit d’intérêt) ne pouvaient inclure de stratégies thérapeutiques hors AMM. Il est finalement regrettable que ce document n’ait pas pu persuader les décideurs tant publics que privés de mieux établir et réguler en temps voulu le bon usage de Diane 35 », écrivait alors le Pr Chosidow.

D’après un entretien avec le Pr Olivier Chosidow, hôpital Henri-Mondor, Créteil, président de la SFD.

 ANTOINE DALAT

Source : Bilan spécialistes