LE QUOTIDIEN DU MÉDECIN - Dès le lendemain de votre prise d’otage, vous avez tenu à affirmer qu’il ne fallait pas médicaliser la situation. Pourquoi ?
Dr CYRILLE CANETTI – Si l’on veut tirer les leçons de ce qui s’est passé, il faut que le discours soit clair. Or, ce que je vois, ce que je lis, c’est un amalgame entre dangerosité et pathologie mentale. Il ne faut pas associer prise d’otage, suivi psychiatrique et existence d’une maladie mentale. Prendre en otage ne veut pas dire être fou. C’est un geste de désespoir qui s’adresse à l’administration pénitentiaire et non au psychiatre. Pour illustrer la situation : si vous allez à l’hôtel et que la chambre n’est pas bonne, vous n’allez pas voir un psychiatre, vous allez voir le directeur de l’hôtel.
Il se trouve que l’auteur de la prise d’otage a consulté un psychiatre ?
Nous ne voyons pas que les malades mentaux. Au SMPR (Service médico-psychiatrique régional), nous avons aussi une mission d’appui, de soutien et d’accompagnement. Un détenu qui a pris 30 ans, il faut l’accompagner psychologiquement, il faut le soutenir. Ce n’est pas rien d’avoir trente ans à faire. Donc, bien sûr, nous avons un rôle d’appui de ces personnes condamnées à de très longue peine et qui sont en souffrance.
Donc, pour vous, la réponse n’est pas médicale ?
Je ne peux pas entrer dans le détail des événements. La seule chose que je puisse dire sans trahir le secret médical est que si l’état de Francis Dorffer avait nécessité d’autres soins que ceux qu’il avait, nous les aurions mis en place. Je le suivais et je le connaissais bien. À aucun moment, je n’ai pensé que son état justifiait une hospitalisation. Nous avons aujourd’hui des solutions. Si cela avait été indiqué, nous aurions pu le transférer en UMD (Unité pour malades difficiles). Nous ne l’avons pas fait.
Pour vous, les UHSA, qui s’adressent aux détenus présentant des troubles psychiatriques graves, ne sont pas la solution aux problèmes des détenus qui présentent une certaine dangerosité mais qui ne relèvent pas de la maladie mentale. Que proposez-vous ?
Encore une fois, la prise d’otage est un geste de désespoir. Psychiatriser la détresse n’est pas la solution. La société doit s’interroger sur la façon dont elle veut que l’on prenne en charge les personnes détenues. Elle doit s’interroger sur le sort des individus condamnés à de longues peines et qu’elle devra réintégrer un jour. L’administration pénitentiaire doit aussi questionner la façon dont elle organise la prise en charge de ces personnes sans perspectives, qui, si elles ne sont pas bien traitées, peuvent devenir de vraies bombes. Il faut se demander si la gestion actuelle de la dangerosité n’est pas contre-productive.
Certains syndicats de surveillants ont d’ailleurs réclamé une sécurité renforcée pour les détenus les plus dangereux. Qu’en pensez-vous ?
L’administration pénitentiaire a un rôle difficile. Ils ont la garde des détenus et je n’aimerais pas être à leur place. On leur demande zéro suicide et zéro évasion, ce n’est pas une position confortable. Mais il faut envisager la question avec un peu de recul. L’isolement déshumanise. N’appliquer que des mesures de contrôle, c’est prendre le risque de transformer les personnes détenues en bêtes fauves.
PRENDRE EN OTAGE NE VEUT PAS DIRE ÊTRE FOU
Dans le cas des condamnés à de très longues peines, je pense que cette population doit être prise en charge par une cellule référente qui représenterait un interlocuteur garant de la cohérence de la détention, quels que soient les changements de lieu d’affectation. Ce ne peut être leur avocat, qui sera toujours suspect de vouloir les défendre quoi qu’il arrive mais une structure de l’administration pénitentiaire à qui ils pourront s’adresser en cas de problème.
Vous semblez avoir des convictions fortes. La prise d’otage n’a rien changé ?
Je suis psychiatre, je travaille depuis 13 ans en prison (à Fresnes de 1996 à 1999, à Fleury-Mérogis de 1999-2009). J’aime mon métier, je suis content de l’exercer aujourd’hui plus que jamais. Cela n’a ébranlé ni mes convictions ni ma motivation.
Dans une tribune dans « le Monde », en 2006, vous écriviez que le risque zéro n’existait pas. C’est aussi valable pour le métier que vous exercez ?
Cela fait partie des choses auxquelles nous sommes potentiellement exposés. Nous devons en avoir conscience, mais nous ne devons pas travailler avec la peur au ventre. En 13 ans, je n’avais jamais eu d’incident. C’est le premier et je ne changerai rien à ma pratique.
Vous êtes-vous senti réellement en danger ?
Je me suis senti... disons que j’étais calme. Il y avait danger, mais à aucun moment M. Dorffer n’a eu des propos menaçants. La façon dont il m’a traité m’a permis de rester tout à fait calme. Je peux dire aussi que la direction de l’établissement a géré cette histoire de façon très éclairée.
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