Traitement hormonal de la ménopause

Entre preuves et raison

Publié le 26/05/2010
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« SI la médecine fondée sur la preuve a conduit la haute Autorité de santé à restreindre la prescription du traitement hormonal de la ménopause aux femmes ayant un syndrome climatérique gênant, il s’agit là d’une attitude extrême, où le principe de précaution intervient largement », estime le Dr Christian Jamin. Une décision fondée en pratique sur deux études randomisées contre placebo : HERS (1), qui date de 1996 et WHI (2) publiée en 2002. Si l’on regarde les résultats « bruts » de ces études, il ne semble y avoir que peu de bénéfice à traiter les femmes par traitement hormonal de la ménopause (THM). Ce dernier augmente le risque de cancer du sein, d’accident vasculaire cérébral, d’infarctus du myocarde, d’événement thrombo-embolique veineux, de démence de type Alzheimer tandis qu’à l’inverse, il réduit les bouffées de chaleur, diminue le risque de fracture vertébrale et de fracture fémorale et celui de cancer colique.

Une analyse plus précise.

« Une première analyse conclut à un rapport bénéfice/risque défavorable », poursuit le Dr Jamin. Mais ces résultats concernent une population de femmes relativement âgées, 63 ans en moyenne (et 30 % avaient plus de 70 ans), ménopausée depuis 15 ans en moyenne et présentant pour la plupart des facteurs de risque cardio-vasculaire : hypertension artérielle, hypercholestérolémie, tabagisme. Sans compter que dans ces études anglo-saxonnes, le THM faisait appel à un estrogène par voie orale associé à un progestatif à effet glucocorticoïde. Pour le Dr Jamin, il est évident que le THM ne doit pas être prescrit ni chez les femmes à distance de la ménopause ni sous cette forme.

Si l’on analyse les données colligées à ce jour de façon précise, il est établi que le THM est efficace sur les signes climatériques. Il constitue le seul traitement préventif de l’ostéoporose postménopausique et il réduit le risque de cancer du côlon. Concernant le cancer du sein, les données concordent pour souligner une augmentation faible du risque, surtout avec les traitements de longue durée et pas avec tous les THM. Dans l’étude E3N (3), il n’a pas été retrouvé de surrisque de cancer mammaire chez les femmes recevant l’association estrogènes-progestérone naturelle ou rétroprogestérone.

La notion de fenêtre thérapeutique.

Pour le risque cardio-vasculaire, la réanalyse de ces études d’intervention incluant l’étude WHI – dont les résultats, rappelons-le, avaient surpris la communauté médicale – a fait émerger la notion de fenêtre thérapeutique. En d’autre termes, le THM reste protecteur pour les coronaires s’il est débuté juste après la ménopause, alors que s’il est instauré à distance de la ménopause, il perd son effet bénéfique puis devient délétère lorsqu’il est commencé très tardivement, après l’âge de 70 ans. Les bases physiopathologiques de ce phénomène sont peu à peu démembrées. Ainsi, l’effet protecteur des estrogènes passerait par une action anti-inflammatoire, qui disparaitrait à distance de la ménopause.

Des travaux expérimentaux récents menés sur des souris castrés suggèrent que les estrogènes apportés immédiatement après la castration permettent l’augmentation de leurs propres récepteurs, ce qui induit une baisse de la production de cytokines inflammatoires par les macrophages. A l’inverse, lorsqu’ils sont donnés à distance de la castration, les estrogènes perdent leur capacité à stimuler leurs récepteurs et ne s’opposent plus à l’inflammation, voire auraient un effet pro-inflammatoire et de déstabilisation de la plaque d’athérome.

Par ailleurs, certains progestatifs sont susceptibles d’induire une insulinorésistance, douée elle-même d’un effet prothrombotique. L’étude PEPI (4) montre que l’apport d’estrogènes seuls aurait un effet plutôt favorable sur l’insulinosensibilité, bénéfice qui disparait lorsqu’on y associe du MPA (acétate de medroxyprogestérone), mais pas quand on rajoute de la progestérone naturelle. Ceci peut être expliqué en partie par l’affinité de certains progestatifs pour le récepteur des glucocorticoïdes. Quant à l’augmentation du risque thrombo-embolique veineux, elle ne s’observe pas lorsque l’estradiol est utilisé par voie percutanée.

Au total, le THM (idéalement estradiol percutané et progestérone naturelle ou rétroprogestérone, ou tibolone) a toute sa place, en l’absence de contre-indication, dans la prise en charge du syndrome climatérique. Il est le seul traitement à avoir démontré son efficacité en prévention primaire de l’ostéoporose, où sa place reste discutée. Il doit être débuté en postménopause immédiate.

* D’après un entretien avec le Dr Christian Jamin, Paris

(1) Hulley S et coll. Randomized trial of estrogen plus progestin for secondary prevention of coronary heart disease in postmenopausal women. Heart and Estrogen/progestin Replacement Study (HERS) Research Group. JAMA 1998 ; 280 : 605-13.

(2) Writing group for the WHI. Risks and benefits of estrogen plus progestin in healthy postmenopausal women: principal results From the Women’s Health Initiative randomized controlled trial. JAMA 2002 ; 288 : 321-3.

(3) Fournier et coll. Breast cancer risk in relation to different types of hormone replacement therapy in the E3N-EPIC cohort. Int J Canc 2005; 114 : 448-54.

(4) The Writing Group for the PEPI Trial. Effects of estrogen or estrogen/progestin regimens on heart disease risk factors in postmenopausal women. The Postmenopausal Estrogen/Progestin Interventions (PEPI) Trial. JAMA 1995 ; 273 : 199-208.

Dr ISABELLE HOPPENOT

Source : Bilan spécialistes