France, fin de siècle

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Publié le 31/01/2020
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Baudelaire serait-elle la figure de proue de ce XIXe fin de siècle qui permet de réunir Toulouse-Lautrec et Huysmans par exemple dans une commune célébration du poète ? En tout état de cause, le chantre de la modernité inspire alors peintres et écrivains. La créativité, dans cette France en crise politique permanente, fertilise les arts comme jamais. Et ouvre la voie aux révolutions à venir. Faut-il reconnaître pour autant dans Toulouse-Lautrec l'influenceur d'Andy Warhol, voire du street art d'aujourd'hui, comme le suggère Anne Roquebert dans la monographie consacrée au peintre ? La proposition est audacieuse. À ce maître célébré de l'affiche publicitaire placardée dans les rues de la capitale, on préfère ici les très beaux portraits de femmes qui n'ont pas tous été montrés lors de l'exposition qui vient de s'achever au Grand Palais. Loin de la figure de la prostituée toujours associée à l'œuvre du peintre, ces images frappent encore le regard. Insoumises, rebelles, à la manière de Carmen Gaudin, la flamboyante rousse abordée dans la rue Avenue-de-Clichy ou de Jeanne Wentz. Ses « grands yeux noirs faisaient pâlir la lune qui brille, à la Bastille », comme dans la chanson de Bruand, note Anne Roquebert qui évoque ce moment comme « la quintessence de son art ». Plus tard, Toulouse-Lautrec brise les tabous de son époque en brossant avec tendresse les amours saphiques. Mais cette vie et ce corps meurtri dès l'enfance sont rattrapés par l'alcoolisme et la syphilis. La médecine est encore impuissante. Elle sera pourtant au cœur de ce tableau testament « un examen à la faculté de médecine », peint en 1901, l'année de sa mort par celui qui aurait souvent déclaré : « Si je n'étais pas peintre, je voudrais être médecin ».

Au cours de cette vie brève, Henri de Toulouse-Lautrec n'a, semble-t-il, pas rencontré le critique d'art influent et écrivain, Joris-Karl Huysmans qui vient d'être édité dans la collection de la Pléiade et bénéficie d'une exposition au musée d'Orsay. Ils célèbrent pourtant tous les deux Degas le patron, celui qui révèle les secrets de l'intimité féminine, le maître de la « carnation civilisée ». Quel spécialiste de l'art oserait écrire aujourd'hui à la manière de Huysmans sur le Nana de Manet : « Si je ne craignais de blesser la pudibonderie des lecteurs, je dirais que le tableau de M. Manet sent le lit défait, qu'il sent en un mot ce qu'il a voulu représenter, la cabotine et la drôlesse. » Au-delà des artistes qui délivrent l'art du faux et de l'hypocrisie, Huysmans révèle les artistes du rêve et du fantasme à la manière de Gustave Moreau et d'Odilon Redon avant de redécouvrir les Primitifs. Mais le catalogue de l'exposition ne se résume pas à des seuls exercices d'admiration. Il réunit les saillies les plus féroces sur l'art officiel de l'époque, académique et si loin du réel. Sa profession de foi est résumée par cet incipit : « J'ai pensé qu'il serait utile qu'un homme irrespectueux et désintéressé se levât, pour dire son avis tout cru. » Où serait-il aujourd'hui ? Cette liberté de ton alliée à la singularité du style expliquent l'étonnante jeunesse d'un livre comme À Rebours qui bénéficie là d'une très belle édition critique. Huysmans ou plutôt son héros Des Esseintes, vomit son époque et déjà l'américanisation du monde. Il nous donne aussi un petit traité médical sur la névrose, l'inconscient d'avant Freud qui n'a pas encore débarqué chez Charcot. Chaque génération livre à ses contemporains son mal de vivre. Là aussi, rien ne change. La vraie modernité abrite souvent un brin d'éternité.

Toulouse-Lautrec par Anne Roquebert, 384 pp., 345 illustrations, couleurs, relié, éditions Citadelles & Mazenod, 189 euros.
Joris-Karl Huysmans de Degas à Grünewald. Musée d'Orsay, Gallimard, Musées de la ville de Strasbourg, catalogue de l'exposition, 35 euros.
Huysmans, romans et nouvelles, bibliothèque de la Pléiade, éditions Gallimard, 66 euros jusqu'au 31 mars 2020.


Source : Décision Santé: 319