Portraits de femmes

Grandeurs et misères confondues

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Publié le 21/01/2019
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L21/1-Grace

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L21/1- Ces femmes-là

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L21/1- Etat d'ivresse

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L21/1- Première Dame

L21/1- Première Dame

L21/1- Grace l'intrépide

L21/1- Grace l'intrépide

L21/1-Médée chérie

L21/1-Médée chérie

Écrivain et cinéaste à l’origine d’une œuvre ancrée à gauche, Gérard Mordillat rend une nouvelle fois hommage aux femmes dans un roman qui se déroule demain, un livre-foule intitulé « Ces femmes-là » (1), qui fait étrangement écho aux mouvements collectifs actuels et aux incertitudes du pouvoir.

En 2024, le gouvernement prend le prétexte de l’organisation des jeux Olympiques pour accentuer les mesures de contrôle et de sécurité, durcir les conditions de travail, délocaliser les déclassés à la campagne, caserner les musulmans… Centré sur une manifestation contre cet État fasciste, le livre nous met peu à peu en présence d’une bonne quarantaine de personnages, hommes et femmes de tous âges, de toutes conditions sociales et sensibilités politiques, qui vont vivre et subir l’événement avant, pendant et après, lorsqu’il ne restera plus que des femmes pour raconter, pleurer et se battre, encore et toujours. Un roman foisonnant et vivifiant en prise avec l’actualité.

Alors que beaucoup de fées (démons ?) se sont penchées sur les présidents de notre République (après s’être attaqué à Nicolas Sarkozy et à François Hollande, Patrick Rambaud vient de publier « Emmanuel le Magnifique »), Caroline Lunoir met en lumière la « Première Dame » (2). Avocate pénaliste, elle ne plaide pas en sa faveur mais elle montre, à travers le journal intime que l’héroïne inaugure lorsque son mari annonce son intention de se présenter aux primaires de son parti, combien ce parcours est semé d’embûches, les attaques fragilisant son statut d’épouse et de mère s’ajoutant aux scandales de liaisons extraconjugales ou de comptes bancaires à l’étranger. Elle montre aussi comment cette femme qui a toujours vécu dans l’ombre de son mari a révélé une force que ni ses proches, ni elle, ni ses adversaires ne connaissaient.

Anthropologue marocaine, Yasmine Chami, après la production d’émissions sociales à la télévision, s’est tournée vers l’enseignement. Après le très beau « Mourir est un enchantement » (atteinte d’une maladie grave, une femme de 40 ans revisite son passé familial), elle s’attache, dans « Médée chérie » (3), à une femme sculpteur, quittée par son mari, un chirurgien renommé. Abandonnée après vingt-cinq ans d’un mariage qu’elle pensait sans faille, après avoir élevé ses enfants maintenant bien installés dans leur vie d’adulte et fait passer son travail après ses obligations familiales, Médée se replie sur elle-même, non pour s’apitoyer mais pour s’appuyer sur son imaginaire et ses mains et se mettre à sculpter dans une solitude salvatrice.

On retrouve dans « État d’ivresse » (4), de Denis Michelis, les mêmes thèmes que dans ses précédents romans (« la Chance que tu as » et « le Bon Fils »), l’enfermement et la violence conjugués à l’impossibilité d’échapper à son destin La narratrice est sous l'emprise de l'alcool. On ne sait pas pourquoi elle boit – si son mari est souvent absent pour ses affaires, son fils est un ado sympa, elle vit dans une belle maison en bordure de forêt et écrit pour un magazine de psychologie. Mais son monologue est celui d’une femme brisée, déconnectée de la réalité, qui oscille entre fausse dissimulation et réelle amnésie, promesses et dénis. Une femme qui se fait violence à elle-même et détruit aussi son fils.

Les voies de la misère

« Grace l’intrépide » (5), le premier livre de Karine Miermont, qui a été productrice puis directrice artistique pour la télévision, est le portrait d’une prostituée nigériane travaillant dans le bois de Vincennes. Il est le fruit de cinq années de recherche et tous les faits et les chiffres sont vrais, comme presque toutes les paroles. Pour autant, il ne s’agit pas d’un documentaire mais bien d’un roman qui raconte une histoire. Celle d’une jeune femme qui s’est exilée pour faire vivre sa famille, de sa traversée de plusieurs mois à travers l’Afrique et la Méditerranée, des 70 000 € à rembourser, de son enfer quotidien. « Ce n’est pas un récit victimaire ni condescendant, c’est un autre regard, peut-être une tentative d’être à la hauteur de ce qui se produit en réalité », souligne l’auteure, qui a su transmettre autant la dignité de ces femmes que leur joie.

Après les deux best-sellers qu’ont été « Un ciel rouge, le matin » et « la Neige noire », l’Irlandais Paul Lynch revient avec un roman également encensé, « Grace », un récit épique très noir, qui a pour décor l’Irlande du milieu du XIXe siècle ravagée par la Grande Famine. L'héroïne a 14 ans lorsque sa mère l’expédie vers la ville voisine gagner de l’argent, déguisée en garçon. Son petit frère la rejoint en secret mais il est bientôt emporté au passage d’une rivière. L’adolescente continue son périple fait de peurs, de dangers, de violences et de morts. La voix de son frère l’accompagne et elle capte, au travers de la lande désolée et des ruelles transformées en charnier, les fantômes et les esprits de ceux qu’elle a vu disparaître. La frontière entre le réel et l’imaginaire se brouille peu à peu. L’auteur brosse ainsi un tableau bouleversant et quasi-surnaturel où dieux et esprits contemplent les hommes qui se débattent en vain.

(1) Albin Michel, 369p., 21,50 €

(2) Actes Sud, 185 p., 18 €

(3) Actes Sud, 132 p., 15,80 €

(4) Noir sur Blanc, 165 p., 14 €

(5) Gallimard, 147 p., 16 €

(6) Albin Michel, 480 p., 22,90 € 

Martine Freneuil

Source : Le Quotidien du médecin: 9717