Où est le Joseph Kessel d'aujourd'hui ? Les éditorialistes ont remplacé les grands reporters sur les plateaux de télévision. L'émotion a été chassée des gazettes par souci d'objectivité. Même le cri du cœur placé en exergue de l'album de la Pléiade « Je me demande ce qu'ont bien pu faire les gens avant Gutenberg » est devenu incompréhensible aux enfants de Google et d'Instagram. Joseph Kessel a pourtant épousé toutes les promesses de son temps. Son premier livre au sortir de la Première Guerre mondiale, L'Équipage, s'inscrit dans la modernité en évoquant le monde de l'aviation. Il n'a jamais opposé l'écrit à l'écran. Et son œuvre, immense, a nourri au moins deux chefs-d’œuvre du cinéma, Belle de Jour de Luis Bunuel et l'Armée des Ombres de Jean-Pierre Melville. Personnage médiatique comme on ne disait pas encore, ses excès, ses addictions au jeu, à la cocaïne, à l'alcool, ses vertigineuses notes de frais contribuent enfin à édifier la légende. Mais le monument est désormais en péril. L'écrivain ne fait guère l'objet de colloques universitaires. Le Lion n’est plus devenu une lecture obligatoire au collège. Son péché majeur ? Joseph Kessel n'a pas inventé de formes nouvelles, refusant de s'inscrire dans une avant-garde, gage en France d'accès à la postérité. L'œuvre est pourtant là, puissante, généreuse et attachante. Prenons au hasard ou presque, Les Captifs, l'un de ses premiers romans, paru en 1926 chez Gallimard. On y entre au départ avec appréhension. La description de la vie au quotidien dans un chic sanatorium en Suisse est bien sûr datée, le rapport aux femmes outrageusement caricatural. Le prochain roman sera, il est vrai, Belle de Jour. Quant à la thématique même du livre, la libération du héros qui se dépouille au contact de la maladie et de la mort de son cynisme, de son arrogance, bref l'histoire d'une rédemption, relève d'une littérature des bons sentiments d'un autre temps. Et pourtant, le lecteur par la grâce d'une description d'un paysage, de la vérité d'un caractère oublie ses réticences et plonge dans le récit. Il se surprend même à reconnaître un écho à l'actualité récente avec ce parallèle tracé entre le front, les tranchées de Verdun et le combat contre la maladie. Tous camarades ! « Aucun mot autant que celui-là n'avait d'empire sur Marc. » Et peut-être aussi en vérité sur Joseph Kessel. Pourquoi cette belle appellation, ce culte dressé à l'amitié tissé de solidarité est devenu aujourd'hui presque désuet ? Et si le mot et l’œuvre retrouvaient enfin une nouvelle jeunesse ?
J. Kessel, Romans et récits, Bibliothèque de la Pléiade, volume 1: 68 euros; volume 2 : 67 euros et sous coffret, Album Kessel offert pour l'achat de trois volumes.
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