Cardiologie

Jusqu’où iront les AOD ?

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Publié le 09/02/2018
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Les journées européennes de la société française de cardiologie n'avaient pas cette année vocation à dévoiler de grandes études ou de nouvelles technologies, mais plutôt à affiner les pratiques en fonction des données récentes. L'occasion de faire le point sur la montée en puissance des anticoagulants oraux directs (AOD), dont l'utilisation semble appelée à encore s'élargir.
Intérieur artère

Intérieur artère
Crédit photo : SCIEPRO/SPL/PHANIE

Le temps est loin où les anticoagulants oraux directs (AOD) étaient cantonnés à la prévention des événements thrombo-emboliques veineux post-chirurgie orthopédique. Désormais, après avoir conquis la maladie thrombo-embolique veineuse (MTEV) et la FA non valvulaire, les AOD s’immiscent dans la maladie athéromateuse stable et challengent l’HBPM dans le cancer. Une tendance forte, dont les récentes journées européennes de la société française de cardiologie (JESFC, Paris 17 au 20 janvier) se sont fait l’écho.

Des AOD chez les coronariens ?

La persistance d’un risque ischémique résiduel chez les coronariens ou les artéritiques reste un souci majeur. Dans plusieurs essais, une bithérapie au long cours par anti-agrégants plaquettaires (AAP) ou une association AAP/AVK réduit significativement les événements ischémiques, mais aux prix d’un taux de saignements inacceptable. D’où l’idée de tester les AOD dans cette indication.

L’étude Atlas ACS 2-TIMI a ainsi ouvert la voie aux AOD dans la maladie coronaire, en montrant que l’association du rivaroxaban à faible posologie au traitement par AAP standard après un syndrome coronaire aigu diminue significativement (- 16 %) les événements ischémiques majeurs évalués selon le critère Mace (IDM, AVC, mortalité CV), ainsi que la mortalité totale pour la plus petite dose (0,25 mg X2/j), tout en augmentant les hémorragies non fatales. Par contre, alors qu’on attendait un effet classe des AOD, l’étude Appraise-2 menée dans le même cadre avec l’apixaban a dû être arrêtée en raison d’une réduction non significative du critère Mace et d’une majoration des saignements.

Ces données ont amené à évaluer le rivaroxaban plus largement, en prévention secondaire dans la maladie athéromateuse stable. Ainsi, dans l’étude Compass menée chez des patients coronariens ou artéritiques, si le rivaroxaban 5 mg 2 fois/j seul ne fait pas mieux que l’aspirine tout en augmentant le risque hémorragique, l’association rivaroxaban 2,5 mg 2 fois/j + aspirine réduit significativement (de 24 %) les événements ischémiques majeurs du critère MACE, ainsi que la mortalité totale (3,4 vs 4,1 %). L’excès de saignements majeurs est de 0,6 % sous rivaroxaban, soit un taux équivalent à celui du ticagrelor ou du prasugrel.

« Cela pourrait nous amener à envisager une place pour les AOD dans la prévention secondaire de la maladie athéromateuse », estime le Pr Charles Michael Gibson (USA). D’autres experts lui emboîtent le pas, tout en attirant l’attention sur la nécessité de bien repérer les patients à faible risque hémorragique qui pourraient en bénéficier, et en appelant à rester prudent, en particulier chez les patients les plus âgés.

Une alternative aux HBPM dans le cancer ?

Dans le traitement préventif et curatif de la MTEV chez les patients atteints de cancer, l’HBPM s’est révélée supérieure aux AVK, mais sa place pourrait être remise en cause par les AOD. Ceux-ci se sont déjà avérés au moins égaux aux AVK avec une diminution, bien que non significative des récidives thrombo-emboliques et des saignements dans les études les comparant aux AVK dans la MTEV. Des essais sont en cours pour les évaluer par rapport à l’HBPM. Dans une étude présentée fin 2017, les récidives de MTEV ont été pratiquement diminuées par deux sous edoxaban, mais les hémorragies majeures – non intra-cérébrales – doublées par rapport à l’HBPM. « On attend donc d’autres résultats pour établir la place des AOD dans cette indication », souligne le Pr Ismaël Elalamy (hématologie biologique, hôpital Tenon).

À l’heure des antidotes spécifiques

Autre élément favorisant une prescription plus large d’AOD : on dispose maintenant d’un antidote spécifique pour le dabigatran, et ceux dirigés contre les xabans sont en développement. Mais « les antidotes n’ont de place qu’en cas de saignement menaçant le pronostic vital ou fonctionnel ou d’intervention chirurgicale réellement urgente, et ne constituent qu’une partie de la prise en charge », nuance le Pr Pierre Sie (hématologue, Toulouse). De plus, « leur sécurité d’emploi doit être envisagée aussi sous l’angle du risque thrombotique ».

Avant l’ère des antidotes spécifiques, on utilisait déjà des agents hémostatiques non spécifiques “contournant” l’effet des anticoagulants, comme les complexes prothrombiniques (PPSB) activés ou non, même s’ils n’ont pas l’AMM pour la réversion des AOD car ils n’ont pas été évalués dans des essais randomisés. Les PPSB sont connus, surtout en cas de traitement par AVK, où ils s’accompagnent d’un risque d’événements thrombotiques de 5 %. Dans les AOD, les résultats de la cohorte Uprate sont rassurants, puisque le PPSB a prouvé son efficacité clinique dans 70 % des 84 saignements aigus survenus sous xabans, avec un taux d’événements thrombotiques de 2,4 %. Dans le registre français GIHP-NACO, sur plus de 700 hémorragies – dont 74 % majeures – survenues sous AOD entre juin 2013 et novembre 2011 et traitées par PPSB, on recense 5,4 % de thromboses, un chiffre similaire à celui de la vitamine K.

Concernant les agents de réversion spécifiques, dans l’étude Reverse-AD menée chez 503 patients souffrant de saignements majeurs ou nécessitant une chirurgie dans les 8 heures, on constate, 4 heures après l’injection d’idarucizumab, l’annulation totale de l’effet biologique du dabigatran dans 100 % des cas et l’arrêt de 68 % des saignements dans les 24 heures, des chiffres identiques à ceux de la réversion des AVK sous vitamine K. En cas d’intervention chirurgicale, l’hémostase est considérée comme normale chez 96 % des patients. La plupart des complications thrombotiques (4,8 % à 30 jours et 6,8 % à 3 mois) surviennent avant la reprise de l’anticoagulant.

L’idarucizumab ne semble donc pas associé à un sur-risque thrombotique excessif.
Quant au futur agent de réversion spécifique des xabans, l’andexanet, il agit très rapidement, avec dans les 12 heures une efficacité biologique pour 82 % des cas, et clinique pour 79 % des cas, chez les 67 patients de l’étude Annexa-4 faisant une hémorragie majeure sous xabans. Mais l’augmentation des marqueurs de la thrombine et le taux de thrombose de 18 % à un mois soulèvent des craintes sur le potentiel thrombotique de l’andexanet.

Le développement du ciraparantag, présenté comme un antidote “universel” puisqu’il capte HBPM, fondaparinux mais aussi les gatrans et xabans est moins avancé. C’est une molécule difficile à évaluer par les tests d’hémostase classiques, et on sait uniquement qu’il ne modifie pas les D-dimères chez des volontaires sains.

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Des pistes pour expliquer l’inexpliqué Pour l’équipe du Pr Michel Haissaguerre (Bordeaux), 2/3 des morts subites inexpliquées pourraient en fait être liées à des lésions localisées de myocardites, le tiers restant incriminant des anomalies du Purkinje. 

AAP : les diabétiques font de la résistance Chez le diabétique de type 2, des anomalies de la coagulation pourraient rendre compte d’une moindre efficacité des anti-agrégants plaquettaires (AAP) avec des durées d’efficacité plus courte. Pour contourner ce problème, certains proposent d’administrer l’aspirine en deux prises/j, cette stratégie devant être évaluée dans l’étude Anem.

Chaud au cœur Selon une équipe suisse, l’incidence des Takostubo (myocardiopathies liées au stress mimant l’infarctus) augmente avec la température extérieure, avec un pic après 4 jours consécutifs à plus de 30 °C. 

Maia Bovard Gouffrant

Source : lequotidiendumedecin.fr