L E comportement de Jean-Christophe Mitterrand dans ses démêlés avec la justice est révélateur d'une intolérance croissante de la classe politique à l'égard des juges qui la harcèlent. Comme M. Mitterrand porte le nom illustre de son père, il s'en sert pour affirmer que le juge saisi de son affaire, Philippe Courroye, lui a réservé un sort funeste qu'il n'aurait peut-être pas infligé à un homme moins connu.
Dans un entretien avec « le Nouvel Observateur » d'hier, le fils du président défunt décrit M. Courroye comme un homme animé par la haine. C'est une accusation d'autant plus téméraire que le mis en examen, bien qu'il soit libéré après avoir payé sa lourde caution, dépend toujours du bon vouloir de celui qu'il fustige. Voilà une forme de défense qui mérite un examen plus approfondi : pour en arriver à prononcer de tels propos, Jean-Christophe Mitterrand est-il victime d'une justice inquisitoriale ou se méprend-il sur le fonctionnement de la justice ?
Une sévérité explicable
Comme l'a maintes fois expliqué son avocat, il n'aurait fait que toucher une commission sur un marché d'armements à destination de l'Angola et qui ne concernait pas la France où les armes, en provenance d'Union soviétique, n'ont pas transité. Son seul crime est de nature fiscale puisqu'il n'aurait pas déclaré les 10 millions de francs qu'il aurait encaissés et déposés sur un compte suisse. Il ne s'agirait ni d'un trafic ni d'une activité occulte.
Mais d'abord une évasion fiscale de cette importance est hautement répréhensible, même si elle concerne la brigade financière au premier chef ; elle ne donne pas une image très brillante du civisme personnel de M. Mitterrand ; elle indique aussi qu'il a confondu ses affaires personnelles avec les fonctions qu'il occupait à la cellule « africaine » de l'Elysée et que, au moins pour cette opération, il a tiré un profit financier du nom qu'il portait et dont il semble faire aujourd'hui son unique culpabilité. Le mélange des genres et le conflit d'intérêt sont flagrants et suffisent à expliquer la sévérité du juge d'instruction.
La justice a montré en outre, en libérant Michel Roussin, puis Jean-Christophe Mitterrand, même avec une caution aussi élevée, qu'elle n'est pas implacable en toute occasion. On veut bien croire que M. Mitterrand a placé les sommes qu'il a gagnées, qu'il lui a fallu faire appel à de bonnes âmes pour réunir les cinq millions de francs réclamés par les juges, mais enfin il a suivi les conseils de ses avocats et pu sortir de prison. Il n'y a consenti que parce que, comme l'a expliqué son avocat, Me Jean-Pierre Versini-Campinchi, il fallait éviter de donner aux juges l'impression que, en restant en prison, il espérait faire pression sur eux et les amener à prononcer un jugement de nullité de la procédure à la suite d'un vice de forme commis par le juge d'instruction.
Les propos qu'il a tenus au « Nouvel Observateur » ne devraient pas, cependant, améliorer son cas, pour autant que la justice réagisse avec la passion dont il l'accuse. On peut donc examiner l'hypothèse de la sincérité de M. Mitterrand et se demander s'il a fait l'objet d'un acharnement excessif, nourri, peut-être, par quelque conviction politique.
Condamnés ou innocentés, les hommes politiques qui ont eu maille à partir avec la justice ont souvent dénoncé le traitement qu'ils ont subi. Tous se servent du même argument, à savoir que le juge d'instruction se délecte à l'idée de poursuivre un ministre ou un politicien renommé. Certains, comme semble le faire M. Mitterrand, croient qu'ils sont en réalité les victimes de leurs adversaires politiques à travers un juge du même camp.
Pas d'erreur judiciaire
Mais quelle que soit l'épreuve qu'ils ont eue à subir, on n'a pas connaissance d'une erreur judiciaire dont ces hommes politiques auraient été victimes. Quelques-uns, il est vrai, ont obtenu un non-lieu après une mise en examen qui a ruiné leur carrière. C'est pourquoi la présomption d'innocence a été renforcée dans la réforme de la justice. Et il est vrai que le secret de l'instruction n'est jamais respecté quand un homme politique est impliqué, soit parce que, effectivement, les juges distillent des informations qui servent la procédure qu'ils ont engagée, soit parce que, dans une société médiatisée, il est impossible de faire le black-out sur la garde à vue ou la mise en examen d'un politicien.
M. Mitterrand n'a pas craint de s'en prendre au juge d'instruction et de contester jusqu'à sa légitimité, atteignant de la sorte le paroxysme de cette bataille qui oppose la justice à la classe politique. Mais on n'est pas sûr que leur révolte contre les juges améliore l'image des rebelles. Dans l'affaire de Jean-Christophe Mitterrand, des faits tout de même sérieux sont établis que le mis en examen lui-même ne semble pas contester. L'opinion est donc amenée à penser que trop d'hommes politiques se croient au-dessus des lois ; une première fois quand ils bafouent leur propre déontologie en s'impliquant dans des affaires où ils n'ont rien à faire ; et une deuxième fois quand ils poussent des cris de colère assourdissants, comme si la délinquance politique méritait des privilèges que n'ont pas les truands.
Des armes politiques
Dans le jeu où il faut dire qui est la plus corrompue, de la droite ou de la gauche, personne ne gagne. Dans l'affaire de Jean-Christophe Mitterrand, le PS s'abstient de tout commentaire. La page Mitterrand est tournée et les forces vives de la gauche n'ont aucun rapport avec l'héritage du président défunt. C'est une défense à compartiments qui vaut pour tous les partis : ou bien des hommes purs et durs, comme Philippe Séguin, se présentent comme les réformateurs du système dont ils sont censés hériter, ou bien, comme Jacques Chirac, on se défausse sur ses anciens subordonnés. Ou bien encore, comme dans le cas du RPF, Philippe de Villiers accuse publiquement Charles Pasqua, dont la justice se souvient qu'il a participé autrefois à la politique africaine de la France. En d'autres termes, les politiciens sont plus prompts à porter sur leurs anciens amis ou leurs adversaires de toujours des jugements souvent sans preuves que la justice n'oserait prononcer en aucun cas.
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