Les romans de l'été (3)

À la croisée des destins

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Publié le 26/06/2017
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2017-06-26 Assez de bleu dans le ciel

2017-06-26 Assez de bleu dans le ciel

2017-06-26 Après l'incendie

2017-06-26 Après l'incendie

2017-06-26 Les Orphelins du Raj

2017-06-26 Les Orphelins du Raj

2017-06-26 La Ferme des Miller

2017-06-26 La Ferme des Miller

2017-06-26 Les Fils du patriarche

2017-06-26 Les Fils du patriarche

2017-06-26 Le Rempart

2017-06-26 Le Rempart

Le premier choc vient de l’Américaine Lionel Shriver qui, de livre en livre, dont « Il faut qu’on parle de Kevin », Orange Prize 2005, met le doigt là où ça fait mal. Dans « Les Mandible. Une famille 2029-2047 » (1), elle met en scène, autour de quatre générations de la famille, l’effondrement de la société américaine et l’anéantissement de ses valeurs. Cela se passe demain ou presque, alors que les États-Unis, secoués par des désastres écologiques successifs, s’enfoncent dans une crise économique sans précédent, jusqu’à la faillite. Pour les Mandible comme pour tous les Américains il ne s’agit plus seulement de se débrouiller mais de survivre. Une dystopie économique largement argumentée et une vision de notre monde aussi apocalyptique que vraisemblable.

Avec « le Rempart » (2), on retourne vers le passé de l’Amérique. Le roman a été publié en 1946, un an après la mort de son auteur, Theodore Dreiser (« Une tragédie américaine »), considéré comme le père de la littérature américaine du XXe siècle. Au début du siècle dernier, le fils de modestes Quakers épouse par amour la fille de puissants banquiers de Philadelphie. Il s'accommode plus ou moins de la richesse qui va à l’encontre d’une éthique qu’il tente d’inculquer à ses enfants, sans s’apercevoir que les valeurs morales issues de la tradition ne résistent pas aux changements de mentalité induits par l’industrialisation et le développement des affaires et des finances.

Né en Virginie en 1948, Robert Goolrick (« Arrive un vagabond », « la Chute des princes ») brosse le destin, à travers l’enquête d’un journaliste qui s’interroge sur le feu qui a ravagé l’une des plus belles maisons du Sud, de l’ultime descendante de la lignée des Cooke. Née avec le siècle précédent et élevée pour que perdure la propriété, Diana s’est mariée pour l’argent mais sa vie a été ponctuée de tragédies, comme si elle devait payer le lourd passé d’esclavagisme qui a fait la grandeur de la famille. Qualifié d’« anti-Autant en emporte le vent », « Après l’incendie » (3) est un récit âpre, qui dépeint un Sud moribond, alourdi par des traditions désuètes et un passé sanglant.

Aujourd’hui âgée de 89 ans, Jane Gardam a publié une trentaine d’ouvrages et reçu de nombreux prix. En 2004, 2009 et 2013, ont paru « le Maître des apparences », « le Choix de Betty » et « l'Éternel rival », traduits en français à partir de 2015. Réunis en un seul volume, les trois volets qui composent le cycle des « Orphelins du Raj » (4) permettent de suivre les destins croisés de sir Edward Feathers, grand juge à Hong Kong, de sa femme Betty et de Terry Veneering, éternel rival du premier au barreau, et aussi auprès de sa femme. Des personnages mémorables et toujours l’humour à la fois discret et caustique de l’écrivaine anglaise.

On fait connaissance de Charles et Arsène en Provence, dans les années 1930. Deux demi-frères que tout sépare – l’un est affable et honnête, l’autre arrogant et arriviste –, si ce n’est d’avoir été également reniés par leur père. Habitué des grandes fresques familiales et historiques, Edouard Brasey déroule, dans « les Fils du patriarche » (5), les devenirs de ces deux frères ennemis qui, au moment de l’Occupation, iront l’un vers l'extrême-droite et l’autre vers la Résistance. Pour l’auteur, les deux personnages correspondent « à cette France qui, à cette époque, était divisée en deux ».

Journaliste récompensée par le prix Pulitzer avant de se consacrer à la fiction, Anna Quindlen nous mène, dans « la Ferme des Miller » (6), dans un coin de Pennsylvanie qui doit, comme l’ensemble de la vallée, être engloutie sous les eaux pour agrandir le réservoir du barrage voisin. La chronique des Miller débute à la fin des années 1960 et montre une famille déstabilisée par la menace et les drames. Un père qui tombe gravement malade, un frère qui revient meurtri du Vietnam, une tante au bord de la folie, mais aussi une mère courage et une petite fille qui témoigne.

Le succès de son premier roman, « Quand tu es parti » (paru chez Belfond en 2000 et qui ressort aujourd’hui), a conduit Maggie 0’Farrell à se consacrer uniquement à l’écriture. Dans « Assez de bleu dans le ciel » (7), elle nous projette dans une maison isolée du Donegal, où a choisi de se retirer le couple Sullivan avec ses deux enfants. Une petite famille qui va connaître un séisme lorsque le père apprend la mort de son premier amour au pays, les États-Unis. De 1944 à aujourd’hui, le passé se conjugue au présent autour de personnages complexes. Un puzzle aux multiples facettes pour livrer la radiographie d’un mariage, avec les forces qui le soudent et les pressions qui le menacent.

Auteure de plus d’une quarantaine de biographies et de romans, Hortense Dufour met en pages, dans « Port-des-vents » (8), la dynastie de cinq femmes qui habitent une maison de pêcheurs d’un village-îlot charentais, de l’arrière-arrière-grand-mère à la petite fille. Dont Adrienne, celle par qui tout est arrivé… Dans un univers d'où les hommes sont absents, les femmes se racontent l’une l’autre et leurs passions qui construisent autant qu’elles dévastent. Un récit porté par les embruns de l’océan.

(1) Belfond, 518 p., 22,50 €
(2) Motifs, 381 p., 18,90 €
(3) Anne Carrière, 349 p., 22 €
(4) JC Lattès, 910 p., 26 € €
(5) Calmann-Lévy, 484 p., 20,90 €
(6) Belfond, 316 p., 21 €
(7) Belfond, 476 p., 22 €
(8) Presses de la Cité, 316 p., 20 €

Martine Freneuil

Source : Le Quotidien du médecin: 9592