Douleur

La fibromyalgie de mieux en mieux connue et reconnue

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Publié le 12/05/2022
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La Journée mondiale de la fibromyalgie, qui se tient ce 12 mai, est l'occasion de faire le point sur les récentes avancées en matière de fibromyalgie. Même si certains points posent encore question, le regard et les connaissances sur la maladie s'améliorent.

En matière de maladies chroniques mal connues, le Covid long a beaucoup fait parler de lui ces derniers mois. Au point d’occulter la fibromyalgie, syndrome complexe et hétérogène associant douleurs diffuses et symptômes divers (troubles du sommeil, neurologiques, anxieux, dépression, fatigue chronique, etc.) qui affecterait près de 2 % de la population. La Journée mondiale de la fibromyalgie, est l’occasion de faire le point sur les récents progrès concernant cette maladie.

Car ces dernières années, des avancées notables ont été réalisées en matière de reconnaissance scientifique de la maladie. Notamment avec la parution à l’automne 2020 d’une expertise collective de l’Inserm, qui « a permis de mettre à plat la pathologie », s’enthousiasme la pharmacologue clinicienne Gisèle Pickering (Clermont-Ferrand) qui a pris part à ce travail.

Une pathologie de détection de la douleur

Ainsi, la définition de la maladie se précise, et un rationnel physiopathologique se dégage. Exit les connotations psychologiques péjoratives et vagues, la fibromyalgie est désormais considérée comme un syndrome douloureux nociplastique, principalement provoqué par des dysfonctionnements centraux des systèmes de régulation et de contrôle de la douleur – mais aussi par des anomalies de l’axe du stress, du système nerveux autonome, etc. « Certes, la recherche n’a pas encore identifié de mécanisme unifié qui permettrait d’expliquer l’ensemble des symptômes, cependant, il se dégage que ce syndrome jusqu’à présent non expliqué relève d’une pathologie de détection de la douleur », résume le neurologue Dider Bouhassira, co-auteur de l’expertise.

De même, la fibromyalgie est de mieux en mieux caractérisée sur le plan clinique, notamment grâce à une standardisation des critères diagnostiques. Comme le souligne l’Inserm, doivent désormais être pris en compte « un score de douleurs diffuses (…) ainsi qu’un score de sévérité des symptômes associés ». « Il existe aussi des questionnaires (de dépistage) comme FIRST », indique le Pr Pickering.

Les approches non médicamenteuses à l'honneur

Au-delà de la définition de la maladie, un nouveau paradigme de prise en charge se dessine. « Les approches pharmaceutiques n’interviennent maintenant qu’en deuxième ligne – d’ailleurs moins pour l’antalgie que pour les symptômes associés », explique la pharmacologue. S’opère un essor des approches non médicamenteuses, et en premier lieu de l’activité physique adaptée et individualisée. Des interventions diététiques, cures thermales, techniques de méditation ou cognitivo-comportementales seraient également intéressante. « L’idée est de se réapproprier son corps », souligne-t-elle.

Autre méthode prometteuse : la stimulation magnétique transcrânienne, qui se développe pour agir directement sur les systèmes de contrôle de la douleur. « Il ne s’agit pas d’un traitement miracle mais cela a montré une efficacité y compris sur les troubles du sommeil et sur la qualité de vie en général, qui se prolongeait dans le temps, sans effet indésirable », avance le Dr Bouhassira. Un bracelet censé stimuler la sécrétion d’endorphines serait également testé à Grenoble.

De plus en plus d'hommes qui consultent

Dans ce contexte, la reconnaissance de la maladie progresse. L’errance diagnostique se réduit, la stigmatisation s’atténue. « De plus en plus d’hommes osent consulter, remettant en cause le ratio de 14 femmes touchées pour un homme – qui pourrait tomber à 1,4 femme pour un homme », note le Pr Pickering, qui constate toutefois qu’au sein de sa patientèle, la fibromyalgie reste encore essentiellement féminine. Même au niveau institutionnel, les lignes bougent - en témoigne l’expertise de l’Inserm commandée par le ministère de la Santé.

Cependant, du chemin reste à parcourir pour améliorer encore le repérage et la prise en charge des fibromyalgiques. Car bien qu’en diminution, le délai nécessaire pour poser le diagnostic reste relativement long. Pour y remédier l'information des professionnels de santé doit encore s’améliorer, estime le Dr Bouhassira, d'autant qu'« il y a encore des fibrosceptiques ».

Un délai de diagnostic incompressible ?

Mais ce scepticisme n’est pas seul en cause. En effet, le Pr Pickering admet que le calcul des scores nécessaires au diagnostic est long. « Dans mon cas, cette première consultation prend souvent une heure », confie-t-elle. Afin de favoriser l’identification des malades au cabinet, « une consultation dédiée au diagnostic de la fibromyalgie devrait être créée et rémunérée de façon adaptée », estime-t-elle. Même si, pour la spécialiste de la douleur, un délai de diagnostic incompressible existe certainement. « Car dans notre société, la fatigue par exemple, est une plainte commune : c’est quand la chronicité s’installe que la question d’une maladie sous-jacente peut se poser. »

Autre demande que les patients continuent d’exprimer : une meilleure prise en charge administrative et financière de la fibromyalgie. « Ce qui semble encore compromis, car les biomarqueurs permettant de confirmer le diagnostic de cette maladie maquent », déplore la pharmacologue. À la recherche de ces biomarqueurs, nombre de pistes (génétique, inflammatoire, dysimmunitaire, métabolique, etc.) et de prélèvements (sanguins, salivaires, urinaires, de LCR) sont en tout cas à l’étude.

Pas de médicament étiologique dans les tuyaux

En outre, la recherche se mobilise également afin de permettre de prédire l’efficacité, chez chaque patient, d’interventions diverses, et ainsi de personnaliser au mieux les prises en charge. Pour ce faire, « l’objectif est aussi de démembrer ce syndrome hétérogène, d’identifier des sous-groupes de patients présentant certains symptômes, certains dysfonctionnements (par exemple, quelques malades manifesteraient des anomalies des fibres nerveuses périphériques), etc. », indique le Dr Bouhassira.

Concernant l’espoir de pouvoir disposer, à terme, d’un médicament étiologique spécifique, il faudra sans doute encore attendre. Et comme l’explique le Pr Pickering, si des repositionnements de molécules existantes sont tentés, la difficulté est de trouver des modèles expérimentaux pertinents, capables de rendre compte in vitro ou chez l’animal de la grande hétérogénéité de la maladie.

Une approche psychosociale à ne pas écarter totalement ?

L’expertise de l’Inserm admet qu’une « haute prévalence » des évènements traumatiques est rapportée chez les patients fibromyalgiques. Si un lien causal direct n’est pas retenu, l’existence de ce vécu traumatique doit continuer d’être prise en compte dans la prise en charge.

Dans ce cadre, le Dr Patrick Ginies, médecin de la douleur (Montpellier) évoque aussi la considération d’éléments biographiques complexes marqués par l’injustice – notion avancée par le psychologue de la douleur américain Michael J.L. Sullivan. « Les patients fibromyalgiques ont souvent vécu dans leur enfance une injustice majeure, endurée des années, et qui s’est vue réactivée à l’âge adulte, souvent dans le milieu professionnel, peu avant le déclenchement des symptômes », explique le Dr Ginies.

Pour lui, la posture du médecin voire de tout le système de santé ne doit alors pas rappeler cette injustice. « Que les médecins ne me croient pas, que les traitements soient inefficaces, que je perde mon travail sans compensation financière, etc. Du point de vue des patients, tout ça n’est que répétition d’injustices », estime-t-il.


Source : lequotidiendumedecin.fr