Il y a 100 ans, les premiers gaz de combat

La marche impitoyable des intoxications à l’ypérite ou gaz moutarde

Publié le 20/04/2015
Article réservé aux abonnés
L’ypérite (sulfure d’éthyle dichloré) a été expérimentée à partir de 1917

L’ypérite (sulfure d’éthyle dichloré) a été expérimentée à partir de 1917
Crédit photo : DR

L’attaque de Langemark fut réalisée avec plusieurs centaines de bombonnes au chlore qui, au-delà des centaines de victimes qu’elles firent dans les rangs français, causa une immense panique dans toute l’armée.

Très vite, médecins et pharmaciens militaires mirent au point des masques de protection, d’abord rudimentaires puis plus perfectionnés. Les deux camps firent aussi appel à leurs meilleurs scientifiques civils pour développer de nouveaux gaz, plus létaux ou plus invalidants. L’ypérite (sulfure d’éthyle dichloré), expérimentée à partir de 1917 dans la région d’Ypres, d’où son nom, est le symbole de l’horreur de ces armes. Retombant sous forme de gouttelettes et formant des nappes toxiques, le « gaz moutarde », certes peu mortel, brûlait aussi bien la peau que les voies respiratoires des soldats qu’il atteignait.

Lavage et la désinfection

D’abord démunis, les médecins militaires améliorèrent petit à petit leurs traitements, basées avant tout sur le lavage et la désinfection, et complétés par des inhalations d’oxygène, avant l’envoi dans des services spécialisés, surtout pneumologiques. Les Drs Paul Voivenel et Paul Martin ont passé toute la guerre à soigner des gazés, notamment dans les « ambulances Z » qui furent créées pour accueillir ces blessés particuliers. Dans leurs souvenirs parus en 1919 et réédités en 2004, ils décrivent la marche impitoyable des intoxications à l’ypérite, qui ne se déclaraient souvent que quelques heures après le contact avec les gaz, avec des brûlures des voies respiratoires et de la peau, ainsi que des cécités, en général réversibles. Selon les gaz employés, les décès pouvaient être rapides ou déboucher sur des agonies s’éternisant plusieurs semaines, avec des rémissions trompeuses pour les malades comme pour les médecins. Voivenel et Martin ont violemment dénoncé la barbarie des gaz de combats, et se sont dévoués sans compter avant de reprendre leur vie normale au lendemain de l’Armistice. Ils concluent leur ouvrage sur une note tristement désabusée : « Nous médecins, qui n’avions jamais quitté les armées, nous retrouvons nos confrères de l’intérieur, engraissés par notre clientèle »

Bien qu’interdits par les conventions internationales signées en 1925, les gaz de combat ont continué à être produits secrètement dans les décennies suivantes, en devenant progressivement de plus en plus dangereux. La France disposait par exemple en 1939 d’un important stock de gaz neurotoxiques, qu’elle n’a pas pu ou pas voulu utiliser en 1940. Plus récemment, les gaz de combat ont été utilisés lors de la guerre Iran-Irak dans les années 1980, puis contre des civils kurdes. Ils sont revenus sur le devant de l’actualité lors du conflit syrien… Au-delà des risques que représente la conservation, par de nombreux pays, de stocks d’armes chimiques offensives ou défensives, les obus chimiques de la Première Guerre mondiale représentent, aujourd’hui encore, un danger potentiel pour les populations vivant à proximité des zones du front, qui s’étendait, rappelons-le, des plages de Flandres au sud des Vosges.

Aujourd’hui, dans les obus à gaz enfouis

Malgré les déminages régulièrement menés depuis 1918, il reste encore de nombreux obus à gaz enfouis dans le sol, mais dont les enveloppes métalliques, sont de plus en plus fragilisées par la corrosion, et peuvent donc s’ouvrir au moindre choc. Chaque année, des imprudents se blessent, voire se tuent, en manipulant des obus. Les obus à gaz ne sont pas explosifs mais l’ypérite liquide qui risque de s’en échapper peut, aujourd’hui encore, occasionner de graves lésions. Les démineurs et les médecins de ces régions rappellent aux promeneurs et aux touristes qu’il ne faut jamais manipuler un obus trouvé par hasard lors d’une promenade en forêt, d’autant qu’ils sont désormais beaucoup plus sensibles et fragiles qu’autrefois. En cas de découverte, la seule attitude à adopter est d’alerter immédiatement les services de secours qui feront ensuite intervenir les démineurs ?

Denis Durand de Bousingen

Source : Le Quotidien du Médecin: 9405