LE QUOTIDIEN : Pourquoi avoir rédigé un ouvrage sur la salle de garde ?
DR GÉRARD TERRIER : Malheureusement, il y a des traditions qui s'étiolent et se perdent parce que la société évolue, mais qui restent également mal connues. On fantasme toujours beaucoup sur les salles de garde, lieu mythique. Je me suis intéressé à ces traditions qui restent exclusivement à la vue de ceux qui fréquentent l'internat mais aussi à leurs liens avec les congrégations, le compagnonnage ou les ordres initiatiques. Certains rites remontent à la nuit des temps…
Précisément, vous détaillez certains rites de la salle de garde comme les « projections » ou les « taxes » osées… Ne sont-ils pas dépassés ?
Non. La salle de garde est un endroit pour se protéger du quotidien ! Pour les futurs médecins, ce sont des lieux de détente et de tradition.
Les "taxes" par exemple sont des peines appliquées à un interne qui a dérogé au règlement de l'internat. Elles peuvent être financières, mais cela peut aussi consister en une histoire drôle à raconter, une chanson paillarde à interpréter ou encore "montrer son cul" pour un garçon, etc. Pour ne pas être injuste, les internes font parfois tourner une roue et attribuent la taxe qui s'affiche devant le curseur lors de l'arrêt de la rotation. Et, c'est la loterie…
Quant aux projections [fait de lancer de la nourriture solide ou liquide à travers la salle de garde, NDLR], ce sont des transgressions mais qui s'apparentent à des soupapes de sécurité. Il faut rappeler que les internes sont jeunes et qu'ils sont soumis à un stress considérable. Ils ont besoin de cette soupape.
Il est vrai que ces traditions viennent des congrégations où le compagnonnage était très fermé et très masculin. La première femme est arrivée en 1881. Aujourd'hui, tout est différent, la société a évolué et les mœurs également. On trouve beaucoup de femmes "présidentes" et "économinettes" [responsables de la salle de garde, NDLR].
La symbolique sexuelle est très présente dans les salles de garde. Des polémiques ont éclaté ces dernières années – fresque pornographique à Clermont-Ferrand avec Marisol Touraine ou fresque jugée sexiste à Toulouse. Quel avenir pour ce folklore carabin ?
La fresque de Clermont-Ferrand mettait en scène l'ancienne ministre de la Santé, Marisol Touraine, dans une position outrancière. Il y a des jeunes qui font des bêtises et outrepassent le règlement mais cela ne doit pas en faire pâtir l'ensemble de la corporation.
Je crois qu'il y a une différence entre les outrances peintes – qui servent de décoration – et ce qui se passe réellement avec les coutumes. Par exemple, il y en a une qui permet de regrouper et de mélanger les gens. À la table de la salle d'internat, on n'a pas le droit de s'installer où l'on veut, on se place selon l'ordre d'arrivée. Aucune place ne doit être laissée libre dans un intervalle pour éviter les regroupements par affinité et pour assurer un mélange de spécialités et générations. Ça me paraît bien traduire la symbolique du compagnonnage !
Beaucoup d'hôpitaux parisiens ont gardé cette tradition ainsi que plusieurs internats de province. Malheureusement, l'administration hospitalière contraint sans cesse les budgets et réduit les locaux. Les choses ne sont plus ce qu'elles étaient… À regret !
*« Us et coutumes de la salle de garde », édition L'Harmattan, 76 pages. 11,50 euros.
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