Syrie : Erdogan lance son offensive

La Turquie écrase les Kurdes

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Publié le 01/02/2018
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La Turquie écrase les Kurdes

La Turquie écrase les Kurdes
Crédit photo : DELIL SOULEIMAN

M. Erdogan se livre en Syrie à une démonstration de force en envoyant par delà sa frontière des dizaines de milliers de combattants, avec leurs chars et leur artillerie. Auparavant, il avait pris soin d'informer Vladimir Poutine, qui a donné son assentiment, mais du bout des lèvres. Le gouvernement américain a seulement réagi en demandant à Erdogan prudence et modération, ce qui, venant de Donald Trump, ne risquait guère d'impressionner l'homme qui espère un jour dominer le monde musulman.

La Turquie a toujours traité le problème de la minorité kurde par la force. Après avoir semblé souhaiter une négociation qui aurait conduit les Kurdes à l'autonomie, M. Erdogan a brusquement renoncé. Apparemment, il ne veut pas aujourd'hui qu'ils créent un territoire kurde en Syrie, alors que ce sont eux qui ont débarrassé le nord de la Syrie de divers mouvements islamistes, dont Daech. De la même manière, le gouvernement de Bagdad a mis au pas la région kurde autonome du nord de l'Irak à la suite d'un référendum sur l'indépendance du Kurdistan.  Les Kurdes sont en Turquie, en Syrie, en Iran et en Irak et ils n'ont toujours pas d'Etat. S'il est vrai que la Syrie risque d'être dépecée, Erdogan fait tout ce qui est en son pouvoir pour que les Kurdes ne partagent pas le festin.

Les Américains, sous la houlette vaguement isolationniste de Donald Trump, n'ont pas vraiment réagi au coup de force d'Erdogan. Ils peuvent d'autant moins le menacer qu'ils disposent de bases en Turquie, pays membre de l'OTAN. Le président joue donc sur tous les tableaux : il estime que l'OTAN lui doit plus qu'il ne lui doit et, effectivement, elle n'est pas en mesure de combattre sa campagne militaire en Syrie ; ami (provisoire) de Poutine, il obtient son aval, mais risque de l'embarrasser au moment précis où la Russie tente à Sotchi de créer un dialogue improbable entre les différentes factions syriennes pour qu'elles se mettent d'accord sur l'avenir de la Syrie. La pax putina n'est pas pour demain, mais seule Moscou est en mesure de mettre rapidement un terme aux menées d'Erdogan. On assiste donc à une pièce de théâtre ubuesque, où des groupes défendent des intérêts divergents et où l'exercice de la puissance militaire est l'abus de pouvoir sont les seuls ingrédients de la diplomatie.

Le plus terroriste des deux

Mais la farce se joue au détriment des Kurdes, dont l'une des composantes politiques, le PKK, est toujours considérée comme un mouvement terroriste alors que le terrorisme d'Etat, pratiqué alternativement par le régime de Bachar Al-Assad, par la Russie de Poutine et par la Turquie d'Erdogan, fait des ravages. Les Kurdes méritent mieux que le sort auquel les voue Ankara. Ils se sont battus efficacement contre l'Etat islamique et ils peuvent être considérés comme les alliés authentiques de l'Europe et des Etats-Unis qui ne semblent pas éprouver pour eux la moindre gratitude.

Les temps ont beaucoup changé depuis le début du fameux printemps arabe. Les terroristes d'hier sont aux prises avec l'islamisme radical et ont largement contribué à sa défaite en Syrie et en Irak  et une révision de la politique occidentale à leur sujet devient aujourd'hui indispensable. Certes il est difficile, peut-être impossible, de couper les ponts avec la Turquie. Il demeure que le conflit syrien a mis en valeur les droits qui sont refusés aux Kurdes. Ces droits ne seront jamais reconnus par les Etats qui redoutent comme la peste l'ambition des Kurdes de créer leur propre espace. Sans oublier qu'eux-mêmes sont divisés par des particularismes régionaux et par des objectifs différents. L'Union européenne, sinon l'Amérique de Trump, doit en tout cas poser la question et rappeler le droit.

 

 

 

 

Richard Liscia

Source : Le Quotidien du médecin: 9636