Un verre standard = 10 g d'éthanol*
Chaque année, 23 000 Français meurent à cause de l'alcool, hors accidents de la route. Huit victimes sur dix sont des hommes. Tués par « la culture » et « la tradition ». C'est une enquête réalisée auprès de buveurs excessifs de 25 à 60 ans par Sorgem, pour le compte de la Santé, et de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES), qui met l'accent sur cette mort de type patriotique, en quelque sorte.
« Pour la plupart des hommes, l'alcool a une dimension symbolique et généalogique très forte », relève l'INPES, qui ajoute : « L'alcool est étroitement associé à la virilité (...) à la culture française (...) à la tradition familiale. » Et cet « attachement identitaire à l'alcool représente un obstacle important à l'acceptation des messages de prévention » (voir encadré).
Des chiffres récents* montrent l'ampleur du problème : 19,3 % des 12-75 ans disent avoir bu quotidiennement au cours des douze derniers mois, 27,8 % des hommes et 11,2 % des femmes. La population féminine se caractérise par des consommations plus espacées : 40,6 % sont des buveuses mensuelles ou occasionnelles (jeunes), contre 15,4 % d'hommes, et 34,3 %, des buveuses hebdomadaires (44,5 % des hommes).
Pour la quantité ingérée, le masculin l'emporte, là encore, avec 2,9 verres bus la veille, au lieu de 1,7. Une quantité qui passe de 2 verres chez les 15-25 ans, à 3,3 et 3,2, respectivement, chez les 20-25 ans et les 55-64 ans. Les chômeurs détiennent le record, avec 3,7 verres, devant les professions indépendantes et les inactifs non chômeurs et non retraités (3,4). L'ivresse, elle aussi, est associée à la virilité, sauf pour les 12-14 ans et les 65-75 ans : 23 % des hommes déclarent au moins une cuite dans l'année, avec un pic à 20-25 ans (7,4 ivresses annuelles), contre 8 % des femmes (à 20-25 ans, 3,4 ivresses).
La dépendance à l'alcool touche ou a touché 8,6 % des Français, soit 4 millions de personnes environ. La dépendance est trois fois plus fréquente chez les hommes (13,3 %) que chez les femmes (4 %) ; elle est maximale à 35-54 ans, affectant un hospitalisé sur deux, un jour donné, et une femme sur cinq. A 35-65 ans, l'alcoolisation excessive intervient dans une hospitalisation masculine sur cinq, et, chez le généraliste, elle concerne deux patients hommes sur cinq.
Enfin, c'est le vin qui arrive en tête des boissons alcooliques, avec 17,5 % de buveurs quotidiens, devant la bière (2,6 %) et les autres alcools (1 %).
L'héritage du père
Pour mieux appréhender la planète des buveurs excessifs (plus de 3 verres par jour), l'institut d'enquête Sorgem a réalisé 25 entretiens individuels avec des hommes âgés de 25 à 60 ans sans problème de santé grave, en région parisienne et à Lille. Au-delà des effets immédiats et classiques recherchés (désinhibant, relaxant), l'alcool est au cur de l'identité masculine : « C'est la France, ou la région dont on vient » ;« C'est l'héritage du père, c'est le symbole de la virilité » ; c'est « indissociable de la culture française traditionnelle ».
Il y a quelques jours, visitant les locaux de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie, le Pr Jean-François Mattei, ministre de la Santé, soulignait, comme l'ont fait quasiment tous ses prédécesseurs, que l'alcool fait partie de « notre tradition » (« le Quotidien » du 9 janvier). Les personnes interrogées par Sorgem vont jusqu'à évoquer la « gastronomie française », l' « attachement au bien-vivre », voire le « rempart d'un art de vivre à la française ».
L'INPES y décèle « une valeur transmise de père en fils ». Parlant d'une « dimension généalogique et symbolique », il voit dans l'alcool « un lien, grâce auquel on devient l'héritier du père et membre de la fratrie des hommes », écrit-il. « Il faut boire pour être un homme », laisse entendre l'un des hommes intérrogés, cinéphile. La première image qui lui vient à l'esprit quand on évoque l'alcool, « c'est les films de Claude Sautet » : « Il y a toujours des parties de cartes entre copains, et ils boivent et ils fument énormément », dit-il. L'alcool, affaire d'hommes. Des hommes qui prétendent se contrôler. Paroles d'hommes : « On sait que si on boit un verre de plus on va dépasser la limite, et, là, il faut savoir se restreindre » ; « Le toubib me dit qu'il faut freiner ci et ça. Maintenant, c'est à moi de décider. » En fait, commente l'INPES, « cet attachement affectif et culturel à l'alcool et aux plaisirs qu'il procure entraîne une difficulté à évaluer de manière objective les effets et les risques liés à sa consommation. Par conséquent, les messages de prévention, fondés sur des données objectives et universelles, et qui remettent en cause un système de croyance très résistant, sont souvent accueillis avec scepticisme et incrédulité ». « Le vin, affirme un buveur, c'est plus pris comme un aliment que comme un alcool (...) c'est comme la publicité "Du pain, du vin et du Boursin" ». L'attitude est la même avec la bière : « C'est de l'eau et aussi beaucoup de céréales (...) C'est surtout désaltérant. »« Dans le temps, on disait qu'on voyait plus de vieux ivrognes que de vieux médecins, et il n'y a pas de fumée sans feu ! », tranche, péremptoire, le coude levé, celui qui ne veut rien entendre, relayé par un autre qui se protège : « Il faut savoir ce qu'on veut : ou on vit ou on ne vit pas. »
Dans la réalité, la grande majorité a une connaissance très floue des effets de l'alcool ; elle fixe le seuil dangereux à plus de 8-9 verres par jour. Aussi, l'INPES se garde-t-il de mettre en avant, dans ses recommandations (voir encadré), un quelconque effet protecteur spécifique du vin qui en ferait un « alicament » à prescrire avec modération. « Il n'y a pas de lien de. » Le vin-médecin a vécu, il « n'y a pas de bon ou de mauvais alcool ». Les gens ne doivent pas leur bonne santé à l'alcool qu'ils avalent.
* CFES, coll. « Baromètres », 2000 et 2001.
45 000 décès annuels
L'alcool provoque directement 23 000 décès en France, chaque année : 18 388 chez les hommes et 4 722 parmi les femmes, selon les chiffres les plus récents. On recense 11 706 décès par cancers (5 003 des lèvres, de la cavité buccale ou du pharynx, 4 432 de l'oesophage et 2 271 du larynx), 8 863 de cirrhoses et 2 541 d'alcoolo-dépendance.
Les boissons alcooliques agissent aussi comme facteurs associés dans nombre de morts. Globalement, on estime ainsi, à 45 000 le nombre de morts qui leur sont directement ou indirectement imputables, parmi lesquels 38 000 hommes. Les 45-65 ans sont les plus touchés : à ces âges, un décès masculin sur quatre est lié à une consommation excessive d'alcool, deux fois plus que de femmes.
Prévenir pour rester dans le plaisir
Le ministère de la Santé et l'INPES relanceront, en avril, la campagne télévisée de 2002 avec pour slogan « L'alcool, pas besoin d'être ivre pour en mourir ». Elle se compose d'un minifilm « hommes » et d'un autre « femmes » mettant en scène deux ami(e)s, dont l'un est ivre. Une voix venue d'ailleurs explique que celui, ou celle, qui tient le coup est tout aussi en danger, car il ou elle boit plus de 2 ou 3 verres par jour.
En même temps, l'annonce « Bois moins si tu es un homme » va être diffusée, à partir du mois de juin, dans l'ensemble des journaux de la presse masculine. L'accroche utilisée interpelle les hommes sur leur consommation et sur la représentation sociale qui associe virilité et alcool. Elle les convie à lire attentivement un dépliant encarté intitulé « Etes-vous sûr de tout connaître sur les risques liés à l'alcool ? ». Enfin, en partenariat avec la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie, des actions seront développées en vue d'informer les jeunes sur les dangers liés à l'ivresse, notamment les accidents de la route, les malaise et les risques sexuels.
La consigne 2 verres par jour maximum pour Madame, si elle y trouve du plaisir, 3 pour Monsieur, et 4 au plus, une ou deux fois l'an, pour « une consommation sans risque », conserve, plus que jamais, son bon sens.
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