MAINTENANT QUE Jacques Chirac a tourné définitivement la page de ses douze années passées à l'Elysée lors de sa dernière intervention télévisée, que reste-t-il de ses deux mandats dans le monde de la santé ? L'empreinte laissée par le chef de l'Etat y est forte, à n'en pas douter. Et cela à plus d'un titre.
Tout d'abord, Jacques Chirac s'est toujours efforcé de prendre le pouls des professionnels de santé pendant ses deux mandats, par des interventions publiques ciblées ou lors de déjeuners en petit comité organisés à l'Elysée. La présidence de la République a agi aussi sans cesse en coulisses, par l'entremise de ses conseillers sociaux successifs (1), qui ont vu défiler dans leur bureau de nombreuses personnalités du secteur sanitaire afin d'enregistrer leurs doléances et de préparer des arbitrages.
Le psychodrame du plan Juppé.
Malgré cette écoute permanente, les relations entre le président Chirac et le monde de la santé n'ont pas ressemblé à un long fleuve tranquille, loin de là. Elles ont même commencé d'emblée par une crise majeure provoquée par le plan Juppé de novembre 1995. Quelques mois seulement après avoir été élu avec le large soutien du corps médical, le chef de l'Etat a suscité un mouvement de protestation et un psychodrame durable en laissant son Premier ministre instaurer un système de «maîtrise comptable», assorti d'un barème de sanctions inédit à l'encontre des médecins libéraux jugés trop dépensiers. L'objectif national de dépenses d'assurance-maladie (Ondam, voté annuellement par le Parlement à partir de la fin 1996) n'a pas fonctionné comme une enveloppe totalement fermée, puisqu'il a presque toujours été dépassé. Quant aux sanctions individuelles ou collectives contre les médecins, elles sont finalement restées inopérantes. Pour autant, l'épisode a laissé de douloureuses traces chez les professionnels de santé. Jacques Chirac a eu beau faire son mea culpa en février 2002, et ses ministres de la Santé successifs retisser des liens de confiance avec les médecins libéraux (notamment grâce à la nouvelle convention de 2005 axée sur la maîtrise médicalisée des dépenses), la Csmf, principal syndicat de médecins libéraux, a pardonné, mais n'a pas oublié. D'ailleurs, chaque fois que la confédération soupçonne une trahison (comme lors de la dernière séance de négociation vaine sur le C à 23 euros), elle ne manque pas d'évoquer le spectre des «années de plomb de la médecine libérale».
Au passif du bilan Chirac, il y a également quelques-uns de ses voeux pieux personnels. Ainsi, le retour à l'équilibre de la branche maladie, promis par le chef de l'Etat pour la fin de son mandat en 2007, est tout compte fait impossible avant 2009.
La réforme du mode de financement de la Sécurité sociale, avec une taxe sur la valeur ajoutée des entreprises, qu'il a évoquée en janvier 2006 à la surprise générale, a été peu ou prou enterrée dans les mois qui ont suivi. De même, ses engagements en faveur de la recherche fondamentale (en 1995) et des agences régionales de santé (en 2002) n'ont pas eu les effets escomptés.
Les réformes du gouvernement… Jospin.
On pourrait faire remarquer que plusieurs grandes réformes mises en oeuvre sous sa présidence (couverture maladie universelle, loi Kouchner sur les droits des malades, réforme de la santé au travail, allocation personnalisée d'autonomie) relèvent en fait du gouvernement Jospin pendant la cohabitation avec la gauche plurielle de 1997 à 2002…
Hôpital 2007.
Et pourtant, les soubresauts survenus ces douze dernières années ne doivent pas faire oublier, bien sûr, les réformes structurelles importantes qui ont été menées. La carte Vitale des assurés sociaux, les critères de qualité que sont l'évaluation et l'accréditation, les agences régionales de l'hospitalisation (ARH) font partie de l'héritage des ordonnances Juppé de 1996.
Le plan Hôpital 2007, lancé en 2002 par l'ex-ministre de la Santé, Jean-François Mattei, a apporté de profonds changements à travers ses différents volets (investissements et nouvelle gouvernance à l'hôpital, tarification à l'activité programmée dans des établissements publics et privés), non sans provoquer des mouvements sociaux récurrents.
Reportée de 2003 à 2004 sur décision de Jacques Chirac, la périlleuse réforme de l'assurance-maladie, servie par les talents de Philippe Douste-Blazy en communication, a été plutôt bien acceptée. Trois ans après, les détracteurs de la réforme de 2004 critiquent moins l'esprit que les modalités d'application des parcours de soins, en raison du « maquis tarifaire » ainsi créé. Quant au médecin traitant, il lui manque encore l'outil clé de la coordination des soins que représente le futur dossier médical personnel (DMP). Cet ambitieux projet qui aurait dû couronner l'inventaire sanitaire de Jacques Chirac au 1er juillet 2007 ne sera finalement pas prêt avant 2008.
En revanche, le président de la République a mené à bien les trois grands «chantiers prioritaires» qu'il avait annoncés voici cinq ans : la lutte contre l'insécurité routière, le deuxième plan Cancer, lancé en 2003, et la loi adoptée en 2005 «pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté» des personnes en situation de handicap.
Enfin, si de graves crises sanitaires ont traversé le quinquennat (canicule meurtrière de l'été 2003, épidémie de chikungunya à la Réunion, pandémie de grippe aviaire), la santé publique a incontestablement marqué des points, notamment grâce au récent décret antitabac et à la loi du 9 août 2004, qui marque un net réengagement de l'Etat et fixe une série d'objectifs précis en la matière.
(1) Frédéric Salat-Barroux, Philippe Bas, Marie-Claire Carrère-Gée, Cédric Grouchka.
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