En Afrique, 97 % des IVG ne sont pas médicalisées

Le long chemin de MSF en faveur de l'avortement

Par
Publié le 03/12/2018
Article réservé aux abonnés
msf

msf
Crédit photo : Laia Abril

20 millions de femmes interrompent une grossesse chaque année dans le monde dans des conditions dangereuses et/ou par des personnels non qualifiés. Un acte qui les expose à des hémorragies sévères, des infections, des péritonites, des traumatismes, à des risques de stérilité, voire à des décès. En Afrique et en Amérique Latine, le pourcentage d’avortements non-médicalisés atteint respectivement 97% et 95%. Face à cette réalité brutale, Médecins Sans Frontières (MSF) s’est engagée en 2004 à intégrer l’accès à l’IVG dans les soins de santé maternelle offert sur ses terrains d’intervention, mais l’ONG s’est confrontée à des résistances internes. « Ce sont les viols massifs de la guerre au Congo en 1999 qui nous ont poussé à nous interroger sur notre position » se souvient Claire Magone, directrice de la communication de MSF France. « Avant cela, le sujet n’était pas abordé. Il fallait vouloir le voir ».

Cet engagement impliquait une « triple responsabilité », souligne MSF : « respecter la raison pour laquelle la femme ou la jeune fille se présente » ; « s’assurer qu’elle puisse discuter de son souhait d’avorter avec un professionnel de santé et prendre une décision en toute connaissance de cause » ; et, enfin, « dispenser des soins médicaux de qualité ».

Malaise et réticence personnelle

Malgré les enjeux, l’engagement de MSF ne s’est pas traduit immédiatement dans les pratiques des soignants. « Nous avions beau dire, dès les années 2000, que nous assumions d’offrir l’accès à l’avortement, cela ne se concrétisait pas » déplore Claire Magone. Entre 2013 et 2015, « seulement 25 à 35 % des projets MSF censés inclure l’avortement médicalisé dans leur offre de soins l’ont réellement fait » rappelle l’ONG qui offre des soins maternels à environ 200 000 femmes par an.

De nombreuses résistances se sont en effet exprimées et sont encore évoquées au sein de MSF. « Les arguments invoqués pour refuser d’offrir l’avortement servent de refuge aux soignants », analyse Claire Magone. « Les freins énoncés renvoient à la crainte de se retrouver dans l’illégalité ou d’avoir des problèmes avec les autorités du pays concerné et de mettre en danger les missions. Certains soignants ou médecins mentionnaient des craintes pour les femmes elles-mêmes. Nous avons pourtant l’habitude de travailler dans des contextes dangereux, de composer avec des interdits. Ces positions reflètent souvent un malaise ou une réticence personnelle ».

Face à ces blocages, et plus de 10 ans après son engagement initial, l’ONG a réaffirmé sa position. « En juillet 2017, l’assemblée générale internationale de MSF a adopté une motion visant à s’assurer que MSF ne refuse pas l’interruption volontaire de grossesse aux femmes et jeunes filles qui en font la demande » rappelle l’organisation. « C’est un processus long. Nous sommes encore en phase d’apprentissage sur ces questions » admet Claire Magone.

Elsa Bellanger

Source : Le Quotidien du médecin: 9707