LA LOI du 26 février 2007 interdit la collecte à des fins humanitaires des médicaments non utilisés. Mais le législateur n'a pas sous-estimé la difficulté de mettre en place un système de substitution. Pour organiser de façon pérenne, adaptée et sécurisée de nouvelles sources d'approvisionnement et bâtir une nouvelle filière du médicament humanitaire, une période transitoire a donc été prévue. Jusqu'au 31 août, les organismes à but non lucratif ou à vocation humanitaire ont le droit de continuer à s'approvisionner auprès des officines qui collectent les MNU. Condamné par le législateur, le système vit donc ses derniers mois et permet de garnir, aujourd'hui encore, les rayonnages de nombre de dispensaires et d'unités mobiles de soins qui oeuvrent à travers la France.
A l'Assemblée le 5 février.
Le délai de grâce devra-t-il être prolongé ? C'est le voeu exprimé par plusieurs associations. Pharmacie humanitaire internationale (PHI) a ainsi demandé le maintien du système pendant dix-huit mois supplémentaires, le temps de mieux appréhender les besoins en médicaments et le coût de la mise en place des nouveaux systèmes d'approvisionnement. Une rallonge accordée par les sénateurs. Constatant que le gouvernement n'était pas parvenu à garantir l'approvisionnement des populations les plus démunies en se passant de Cyclamed, ils ont adopté en première lecture, le 17 octobre, l'amendement de prolongation, jusqu'au 31 décembre 2009.
L'Assemblée doit maintenant se prononcer. Rapporteur du projet de loi sur le médicament, Cécile Gallez (UMP, Nord) milite contre le sursis sénatorial. « Plus on prolongera la période intermédiaire, explique-t-elle, plus la situation se détériorera, avec la diminution constante du nombre des MNU et la difficulté croissante d'approvisionner les associations. » Fixé tout d'abord au 12 décembre, le vote a été remis au 31 janvier, et il vient d'être à nouveau reporté et fixé au 5 février.
Le groupe de travail sur les conditions d'approvisionnement des associations en médicaments semble en effet en panne. Créé à la Direction générale de la santé, avec tous les acteurs du sujet (LEEM, Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, Direction générale de l'action sociale, Ordre des pharmaciens, grossistes, officinaux, associations et ONG), il devrait se réunir à la fin du mois, sans qu'aucune date n'ait encore été fixée. Vice-président du LEEM (Les Entreprises du médicament), Bernard Lemoine souligne que «la réflexion sur la mise en place d'un dispositif de substitution se poursuit alors que le financement public reste toujours à trouver». S'abstenant de militer pour ou contre la prolongation du système, il souligne que «les laboratoires ne sauraient pourvoir seuls au financement d'un approvisionnement en médicaments neufs». Chiffrant entre 20 et 40 millions d'euros le coût d'un approvisionnement des associations en médicaments neufs, il plaide en faveur de l'instauration d' «un mécanisme intégré dans le système conventionnel négocié avec les pouvoirs publics. Mais, attention, prévient-il, en cas d'impasse, le LEEM n'est pas du tout prêt à porter le chapeau».
Le flux de la manne MNU est quoi qu'il en soit en train de se tarir. En 1999, au meilleur temps de Cyclamed, sur les 3 355 tonnes de médicaments collectés dans les officines, 831 tonnes étaient expédiées vers les humanitaires. En 2005, année de la publication du rapport de l'IGAS (Inspection générale des affaires sociales) par lequel le scandale est arrivé (lire ci-contre), la valorisation humanitaire a chuté à 402 tonnes (sur 13 711 tonnes de valorisation énergétique), plongeant même à 311 tonnes l'année suivante (sur 12 858 tonnes récupérées). Un effondrement qui s'est certainement poursuivi l'an dernier, estiment les associations, en l'absence de chiffres officiels.
Quand même, ce ne sont pas moins de 12 millions de boîtes qui ont encore été récupérées en 2006.
Au Caso Parmentier (centre d'accueil et de soins) de Médecins du monde (MDM), à Paris, le Dr Claude Martine se félicite de disposer aujourd'hui d'une pharmacie qui reste correctement achalandée, grâce à Cyclamed et aux associations relais, comme les OEuvres hospitalières de l'Ordre de Malte. Et le directeur général de MDM, le Dr Michel Brugière a fait ses comptes : «Le budget médicaments nécessaire au bon fonctionnement de nos dispensaires et de nos unités mobiles avoisine annuellement le million d'euros. Un trou considérable pour une association comme la nôtre et qu'il n'est pas envisageable de combler en puisant dans nos ressources propres.»
Pour autant, nul ne demande la restauration intégrale du recyclage humanitaire des MNU. A Médecins sans frontières (MSF), «les MNU relèvent de l'histoire ancienne, explique Cécile Macé, la coordinatrice pharmacie de MSF International à Genève. Rien ne garantit que les particuliers aient conservé les produits rapportés dans de bonnes conditions; les MNU risquent de passer au travers des mailles du filet en cas de rappel de lot pour défaut de fabrication; les MNU des pays du Nord ne figurent généralement pas sur la liste des médicaments essentiels des pays du Sud; les circuits sont mal sécurisés et exposés au piratage par le marché parallèle. Bref, les MNU posent beaucoup plus de problèmes qu'ils n'apportent de solutions.»
MSF a donc développé une démarche qualité du médicament humanitaire, passant commande de génériques à des laboratoires souvent indiens, avec une centrale d'achat, MSF logistique, agréée comme établissement pharmaceutique par l'AFSSAPS (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé), et des entrepôts installés dans la banlieue bordelaise.
Le système maintenu en France ?
Nul ne semble vouloir contester cette stratégie à l'international, l'OMS la recommandant d'ailleurs depuis 1996. Tout en s'y ralliant, le Dr Brugière demande le réexamen de la loi pour la distribution des MNU en France. «Dans l'histoire, argumente-t-il, on n'a jamais signalé de défaillance sanitaire dans l'approvisionnement des dispensaires français en médicaments recyclés. Chez nous, le système fonctionne à la satisfaction générale et son interruption risque de mettre à mal le fonctionnement d'une centaine de centres de soins.»
La demande du maintien du recyclage à destination des humanitaires français a-t-elle des chances d'être entendue à l'Assemblée nationale le 5 février ? Plusieurs parlementaires qui, l'an dernier, avaient dénoncé « une drôle de société de gaspillage» (Martine Billard, Verts), ou «un mauvais coup contre les organisations humanitaires et les actions généreuses de Cyclamed» (Gérard Bapt, PS), devraient se montrer réceptifs et demander la révision de la politique du médicament humanitaire.
L'affaire Cyclamed
Au départ, en février 2005, l'IGAS (Inspection générale des affaires sociales) fait éclater « l'affaire » : ses inspecteurs avaient dénombré une quarantaine de cas de fraude dans des officines où un circuit parallèle de médicaments était mis au jour ; des professionnels peu scrupuleux utilisaient directement le canal des reprises de produits par les grossistes-répartiteurs pour blanchir les MNU rapportés par les clients et les réintégrer dans le circuit commercial (« le Quotidien » du 14 février 2005).
Devant ce que le rapport qualifiait de «mal profond» et «face à des fraudeurs qui ressentent une impression d'impunité», la nécessité d'une réforme radicale s'était vite imposée. «Aujourd'hui, avait commenté le ministre de la Santé, Xavier Bertrand, moins de 5% des médicaments non utilisés collectés auprès du public sont redistribués à des fins humanitaires. Et cette activité s'effectue en dehors de tout cadre réglementaire et présente plusieurs inconvénients, telles l'absence de garantie sur leur qualité et leur traçabilité, une inadaptation aux besoins des populations destinataires, ou la perturbation des politiques pharmaceutiques mises en place localement.»
Le législateur avait fixé un délai de transition de 18 mois, jusqu'au 31 août prochain, avant d'instaurer une nouvelle filière.
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