Figure 2 : IRM cérébrale mettant en évidence un abcès en rapport avec une embolie paradoxale à travers une malformation artérioveineuse pulmonaire.(DR)
Anomalies des vaisseaux sanguins
La maladie de Rendu-Osler est une affection héréditaire, transmise sur le mode autosomique dominant caractérisée par des anomalies des vaisseaux sanguins avec dilatation du compartiment veineux et communications artérioveineuses directes. Les territoires vasculaires affectés sont la peau, les muqueuses nasales, oropharyngées et digestives, et les organes profonds. Deux gènes ont été identifiés à ce jour : le premier est situé sur le chromosome 9 et assure le codage de l'endogline ; et le second est situé sur le chromosome 12, assurant le codage de l'activine. L'endogline et l'activine sont des protéines nécessaires au développement des vaisseaux sanguins. Les mutations entraînent la suppression du rôle inhibiteur du TGF-bêta sur l'angiogenèse par anomalie de certains de ses récepteurs sur les cellules endothéliales. Chez 20 % des malades, aucune des mutations connues à ce jour n'est retrouvée. Récemment, un nouveau locus a été identifié sur le chromosome 5. La maladie de Rendu-Osler est plus fréquente qu'on ne le pense habituellement, avec une prévalence de 1/10 000 au moins. Sa fréquence est variable selon les zones géographiques pouvant atteindre 1/2 500 dans les Deux-Sèvres, le Jura et l'Ain.
Signes cliniques et critères diagnostiques
L'expression clinique de la maladie est variable d'un sujet à l'autre au sein d'une même famille. Elle est liée à l'âge, la majorité des signes se manifestant à partir de 40 ans. Chez l'enfant, la symptomatologie clinique est souvent pauvre. Récemment, les quatre critères diagnostiques de la maladie ont été définis lors d'une conférence internationale de consensus (critères de Curaçao) : épistaxis spontanées et récidivantes, télangiectasies cutanées ou muqueuses, atteinte viscérale (pulmonaire, hépatique, du système nerveux central…) et le caractère héréditaire. Le diagnostic de maladie de Rendu-Osler est certain si trois de ces critères sont présents. Comme le patient porteur de maladie de Rendu-Osler saigne fréquemment du nez, les filières de soins autour de l'ORL sont souvent bien organisées. Mais l'épistaxis, malgré tous les désagréments engendrés dans la vie quotidienne, est l'arbre qui cache la forêt des atteintes viscérales plus sournoises. L'atteinte hépatique est présente dans plus de 50 % des cas. Elle est le plus souvent asymptomatique, diagnostiquée par l'imagerie. Une atteinte sévère peut, à un stade tardif, conduire à une insuffisance cardiaque à haut débit. Les complications cérébrales sont le plus souvent des conséquences de l'atteinte pulmonaire alors que les malformations vasculaires cérébrales ou médullaires sont plus rares. Le pronostic de la maladie dépend en fait principalement de l'existence d'une atteinte pulmonaire, de son diagnostic précoce et d'une prise en charge thérapeutique adaptée.
Atteinte pulmonaire
Les malformations artérioveineuses pulmonaires (MAVP) se définissent comme des communications directes entre artères et veines pulmonaires avec une portion intermédiaire volontiers anévrismale sans interposition de capillaires (figure 1). De 60 à 90 % des MAVP sont associées à la maladie de Rendu-Osler et de 15 à 35 % des malades porteurs de maladie de Rendu-Osler ont des MAVP.
Les MAVP peuvent induire trois types de complications : la première résulte de la disparition du filtre capillaire pulmonaire normal avec risque de migration directe de caillots, de bulles d'air, ou de micro-organismes dans la circulation systémique (embolies systémiques paradoxales). Ces embolies peuvent notamment entraîner des accidents neurologiques ischémiques, transitoires ou définitifs et des abcès du cerveau (figure 2). La seconde, heureusement rare, est la rupture de la MAVP dans les espaces aériens (hémoptysies) ou dans la plèvre (hémothorax). Ces ruptures surviennent volontiers lors des derniers mois de la grossesse. La troisième est l'hypoxémie résultant du shunt droit-gauche ; le sang non oxygéné vient se mêler au sang veineux pulmonaire entraînant une hypoxémie dont le degré varie selon l'importance de la communication artérioveineuse.
La triade classique évocatrice de MAVP associant dyspnée, cyanose, hippocratisme digital, n'est retrouvée que dans 10 % des cas. Ces chiffres contrastent avec la fréquence des accidents vasculaires cérébraux (25 %) et des abcès encéphaliques (10 %) au moment du diagnostic de MAVP (figure 2). C'est la raison pour laquelle le dépistage des MAVP cliniquement asymptomatiques doit être une priorité.
Radiologie diagnostique et thérapeutique des MAVP
Différentes techniques d'imagerie sont utilisées pour diagnostiquer les MAVP de façon indirecte (shunt) ou directe (visualisation des MAVP). Ces techniques peuvent différer d'un centre à l'autre. L'échocardiographie de contraste détecte le shunt droit-gauche extra-cardiaque avec une sensibilité élevée mais ne permet pas de déterminer la taille ou le nombre des MAVP. Les autres modalités offrent une image directe de la MAVP par des techniques non invasives (radiographie du thorax, scanner…). Lorsque l'échocardiographie de contraste (souvent utilisée comme test de dépistage) se révèle positive, un scanner spiralé doit être pratiqué pour confirmer le diagnostic de MAVP et préciser si un traitement par embolisation est possible. Si une injection de produit de contraste est pratiquée au scanner, des précautions doivent être prises pour éviter les risques emboliques iatrogènes (bulles d'air ou caillots dans la perfusion).
Les traitements visent à prévenir les embolies systémiques et à réduire le shunt droit-gauche. Une antibioprophylaxie doit être prescrite systématiquement avant tout geste potentiellement septique (soins dentaires…) chez tous les patients porteurs de MAVP. L'embolisation des MAVP par occlusion percutanée des artères afférentes à l'aide d'agents variés (spirales métalliques) a supplanté les techniques chirurgicales (figure 3). Elle ne concerne habituellement que les malformations dont l'artère afférente atteint le diamètre seuil de 3 mm. Dans des mains expertes, l'embolisation est une technique sûre dont l'efficacité à long terme a été démontrée dans de nombreuses publications.
Conseil génétique
La maladie de Rendu-Osler est une affection autosomique dominante à pénétrance quasi complète mais à expressivité très variable. Devant un symptôme banal comme une épistaxis en apparence isolée, le diagnostic de l'affection sous-jacente n'est pas souvent évoqué si le caractère familial n'est pas patent. Cela prive l'ensemble de la famille d'informations et de conseils indispensables pour faire un dépistage et, le cas échéant, un bilan de la maladie, et pour assurer la prévention des complications. Une analyse génétique pour rechercher les mutations connues doit être proposée. L'information donnée aux femmes désireuses de grossesse porte sur les risques de transmission de l'affection génétique, mais également, les risques de complications en cours de grossesse.
Prise en charge pluridisciplinaire
Les manifestations cliniques de la maladie de Rendu-Osler sont multiples et touchent plusieurs organes. Environ 50 % des patients souffrant de la maladie présentent des malformations artérioveineuses cérébrales, pulmonaires ou hépatiques. Une prise en charge pluridisciplinaire impliquant des experts de différentes spécialités, généticiens, pneumologues, hépato-gastro-entérologues, cardiologues, pédiatres, radiologues ou neuroradiologues interventionnels, dermatologues et ORL est donc impérative. C'est ce mode d'organisation que nous avons adopté depuis des années, afin de répondre en une consultation unique aux interrogations des patients, de faire un bilan global de toutes les facettes de la maladie, un dépistage familial et d'offrir aux personnes affectées des solutions thérapeutiques spécialisées pour les différents types d'atteintes. La mise en place de filières de soins est indispensable pour une prise en charge optimale des malades, notamment dans le cadre de l'urgence.
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