Pourquoi brosser le portrait d'un écrivain ? Pour rien de très précis. Et surtout pas dans l'objectif de jouer au médecin légiste ou au psychanalyste (cocher la case de votre choix) afin de lui touiller le cerveau et faire cracher son misérable tas de secrets. A celui qui se livrerait toutefois à cet exercice, on conseillera ici de s'armer d'une paire de cisailles aux lieu et place du stylo. L'auteur depuis longtemps a en effet pratiqué le cloisonnement comme un des beaux-arts. Ce n'est certes pas pour se camoufler. Antoine Senanque est un pseudo. Le médecin, neurologue, exerce, lui, au grand jour sous sa véritable identité. Mais cette volonté de ne pas tout dire est avant tout une manière de savoir-vivre. Comment se convaincre de ne pas être un imposteur ? et plus encore de résister aux outrages du temps présent. Qui imaginerait derrière les héros d'Antoine Senanque, des quinquagénaires bien tassés, loosers-tendres, en rupture avec les codes du politiquement correct, son dernier roman en témoigne*, un auteur spécialiste des mystiques chrétiens et de Maître Eckhart en particulier ? Alors que ses personnages, un brin désabusés, sacrifient au culte de l'amitié comme dans les films de Claude Sautet, l'écrivain affiche une foi tranquille, sereine qui ne transparait jamais dans ses livres. A l'exception, il est vrai de son pseudo, Senanque est le nom d'une abbaye cistercienne. Et défend son crédo : « Je suis allergique à la morale. Les athées sont beaucoup plus moralisateurs que les croyants. » En vérité, on relève comme un décrochage entre les mots et les choses. « J'aime pas les gens gais », affirme Antoine Senanque qui a en horreur la facticité des sentiments, la joie et la bonne humeur obligatoires. Ses livres distillent comme antidote une ironie qui se maquille de mélancolie, un humour à chaque page avec un art consommé de la chute. Un seul sujet peut-être réconcilie l'homme et l'écrivain, l'auteur et ses personnages, les femmes bien sûr. Lorsque l'on interroge sur une certaine misogynie qui enveloppe ses personnages masculins clivant le deuxième sexe en deux catégories, les mères et les putains, Antoine Senanque nous déroule sa théorie. « Je suis fou des femmes. On rencontre deux types de femmes. Dans le premier, les secouristes répondent toujours présent lorsqu'il le faut. Dans le second, les compagnes sont celles avec lesquelles on s'amuse. » Après une telle sortie, l'écrivain s'étonne encore de ne pas avoir recueilli les compliments des critiques littéraires du magazine Elle.
On laissera certaines féministes instruire le procès. Simplement Antoine Senanque ne se réduit pas à un seul personnage. « De tous les hommes que j'ai été, lequel sera jugé ? S'interrogeait mon père », lâche Antoine Senanque. Pour notre part, en paraphrasant ces dédicaces fidèles qui closent ses ouvrages, on voudrait le remercier « pour rien de bien précis », si ce n'est la reconnaissance du lecteur...
* Que sont nos amis devenus, Ed. Grasset 2020.
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