L'employeur informé sur les motifs d'arrêts du travail ? Une expérimentation de la Sécu fait bondir des médecins

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Publié le 26/01/2018
arret travail

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Crédit photo : S. Toubon

Informer certaines entreprises sur les motifs d'absences de leurs salariés : un entretien accordé à l'Express par le chef du département des « services aux assurés » de l'assurance-maladie, Laurent Bailly, a mis le feu aux poudres dans la twittosphère médicale.

Ce dernier annonce une expérimentation hardie en direction de cinq grandes entreprises de plus de 200 salariés ayant des taux d'absentéisme atypique (à Amiens, Bourg en Bresse, Marseille, Grenoble et l'une sur la Côte d'opale). Il s'agit d'alerter ces entreprises sur leur score record, tout en les informant sur les motifs d'absences de leurs salariés. Objectif affiché : « challenger » ces entreprises « pour faire amorcer une réflexion sur ses conditions de travail, en vue de faire baisser le taux d’absentéisme »,  justifie ce responsable.

Reconstituer la pathologie

Pour encourager cette prise de conscience, la Sécu communique d’abord à l'entreprise concernée les coûts d'absence en convertissant « les absences en coût direct (valeur des salaires versés) et en coûts indirects », précise le cadre.

« En cas de contrôle de l'assuré, le motif de l'arrêt est codifié, nous disposons donc de l'information. En l'absence de contrôle, nous parvenons à reconstituer la pathologie à partir des consultations et des remboursements de médicaments. Par exemple, si le salarié a vu un psychiatre et pris des antidépresseurs, on peut en conclure qu'il a été arrêté pour dépression. Ce sont des algorithmes qui font le travail », a-t-il ajouté. 

Toutes les données sont analysées avec les médecins conseils et les Carsat (caisses retraite et santé au travail). « On s'assure qu'il n'est pas possible, même de manière indirecte, de tracer les personnes. Par ailleurs, nous nous focalisons uniquement sur les établissements de plus de deux cent salariés. Dans les plus petites sociétés, l'employeur pourrait trop facilement établir un lien évident avec tel ou tel collaborateur », plaide Laurent Bailly dans l'Express.

Secret médical bafoué ?

Ces déclarations ont fait bondir plusieurs médecins sur Twitter dont l'urgentiste Gérald Kierzek qui a aussitôt interpellé l'Ordre, ou encore le Dr Jérôme Marty, président de l'UFML Syndicat. Faut-il craindre pour le secret médical ?

Oula… Avis de @ordre_médecins @BouetP @Jcqslucas ? La Sécu dévoile à des employeurs les motifs d'arrêt de travail de leurs salariés https://t.co/lKfA3dxn5q via @Lentreprise

— Dr Gérald KIERZEK (@gkierzek) 24 janvier 2018 

REVEILLEZ VOUS !
▪️Dans votre dos , tranquillement , se met en place la dépossession de vos données de santé!
Et c’est l’assurance maladie qui les donne à votre employeur!
▪️De la meme façon les assurances privées s’en empareront ! C’est legal
https://t.co/TzY7nhB3Av

— DrMartyUFML (@Drmartyufml) 24 janvier 2018

 

Interrogée par « le Quotidien », l'assurance-maladie (branche AT/MP) affirme respecter les lois sur le secret médical et la protection des données personnelles. « Sur les entreprises visitées, il y a en moyenne 14 000 jours d'arrêt de travail. Nous ne leur donnons des données agrégées et anonymisées que pour trois types de pathologies, lombalgies, troubles musculo-squelettiques et troubles psychosociaux. Il n'y a aucune donnée, salarié par salarié. Il est impossible de tracer en raison de la taille de ces entreprises », insiste Marine Jeantet, directrice des risques professionnels.

« L'intérêt est de donner ces informations en les comparant avec d'autres entreprises du même secteur et de même taille. L'objectif est de les inciter à agir en prévention sur l'organisation du travail par exemple », ajoute-t-elle.

Ces garanties suffiront-elles à rassurer la profession ? On peut en douter à l'heure où la question de la protection des données de santé personnelles – et de l'exploitation de ces données – devient de plus en plus sensible.


Source : lequotidiendumedecin.fr