Demander le déremboursement d’un médicament de son propre camp n’est pas la même chose que demander le déremboursement de toute la pharmacopée d’un camp adverse. Dans le premier cas, il s’agit de s’occuper de soi-même en demandant une aide pour améliorer sa propre prise en charge de ses patients (cf. les anti-Alzheimer), dans le second, il s’agit s’occuper des affaires des autres, en risquant de provoquer des résultats bien souvent désastreux, ce que l’expérience quotidienne personnelle ou collective montrent tous les jours. S’attaquer à l’homéopathie, c’est s’attaquer aux homéopathes, sauf figures dialectiques ; homéopathie sous contrôle médical, il s’entend.
La médecine par les preuves fait appel à une intelligence algorithmique analogue à ce qui est mesuré par les tests de QI, et repose de la même manière sur des questions qui ont également des réponses consensuelles à partir de prémisses admises. Mais que peut faire la médecine par les preuves face à un patient qui se plaint, alors que le médecin ne lui trouve rien ? Je sais, à l’époque actuelle, où les médecins sont submergés, la réponse la plus délicieuse (grâce à la facile possibilité moderne de refuser le maintien à l’inscription d’un patient sur sa liste « médecin traitant »), est de mettre le client difficile à la porte, et de lui demander de trouver un autre médecin traitant. Les patients deviennent ainsi des animaux de laboratoire obéissants sur lesquels on peut tester son savoir scientifique, et vérifier statistiquement, prime à l’appui, auprès de Dame SS, son efficacité. Cependant, dans la vie réelle, face à un patient, s’il doit faire appel à cette intelligence algorithmique, le médecin doit aussi faire appel à ce qu’on appelle l’intelligence rationnelle, en fonction d’un objectif, (terminologie du prof. K. Stanovich de Toronto), c’est-à-dire à celle qui s’adapte au mode de fonctionnement des patients dont les comportements et agissements incompréhensibles sont plus en rapport avec leurs puissantes croyances que de leurs savoirs scientifiques. L’intelligence rationnelle, contrairement à l’intelligence algorithmique ne fait pas appel à des réponses « standardisées » ; face aux tests incluant des biais cognitifs, ceux qui ont les meilleurs QI ne font pas mieux que les autres… Et en médecine, la meilleure réponse dépend de chaque patient et non d’un référentiel sur une maladie ou un symptôme ou en prévention ; malheureusement, dans notre monde de course au rendement financier immédiat, sa mise en œuvre demande du temps, pire, le temps est variable avec chaque patient incompatible avec des consultations au temps minuté et standardisé !
La vraie complexité de la médecine se trouve là. La justification du médecin traitant se situe dans ce registre, la connaissance progressive du patient au fil du temps permet de mieux appréhender ses croyances et mieux agir rationnellement en fonction de celles-ci, quand on prend en compte cette dimension. Prescrire de façon algorithmique le meilleur médicament à un patient qui n’adhère pas peut être totalement inefficace (absence de prise du soin), voire dangereux (prise aléatoire, autoprescription de substances pouvant interagir de façon négative ; combien de pharmacies familiales remplies et de médicaments non pris pour ce simple motif !) ; faire une co-prescription non dangereuse mais absurde sur le plan scientifique afin de répondre aux croyances du patient est une preuve d’intelligence rationnelle, que n’ont pas tous les médecins dits scientifiques.
Prescrire un médicament homéopathique pour que le patient puisse accepter, donc tolérer en co-prescription un antibiotique est-il plus absurde que de co-prescrire de façon allopathique un ferment lactique ou autre ? L’essentiel n’est-il pas que le patient prenne son antibiotique de façon convenable, uniquement quand il en a réellement besoin, afin de limiter la résistance aux AB ? Et combien de prescriptions ou actes allopathiques dangereux n’ont comme efficacité que l’effet placebo à l’insu du prescripteur ?
Les médecins algorithmiques demandent le déremboursement de l’homéopathie car cette dernière n’est pas reconnue par les preuves, l’homéopathie ne traitant pas les maladies selon les normes scientifiques ; avec une optique de borgne, ils ont raison. Car un médecin traite-t-il une maladie ou (ou exclusif) un être humain ? En réalité, il doit traiter les deux en même temps, alors ils ont tort. Un médecin purement scientifique est incapable de prendre en compte la partie illogique de son patient ; à l’inverse, un homéopathe, qui n’est, a priori, pas plus imbécile qu’un allopathe en présence d’un couple malade et sa maladie (sauf pour ceux qui, subliminalement, affirment le contraire), tente à sa manière d’agir sur le mode algorithmique et rationnel en même temps, uniquement de façon rationnelle quand le mode algorithmique n’est pas de mise. Ce que ne supportent pas les purs scientifiques qui en sont tout simplement incapables. Vaut-il mieux traiter le facteur de risque hypercholestérolémie, quand le patient l’exige (mais pas son facteur de risque) avec de l’homéopathie accompagnée d’une injonction de type ancre comportementale, telle que : « si vous ne mangez pas moins, le traitement ne marchera pas » (exemple que m’a donné un patient), ou avec une fibrate à l’ASMR IV, associé de façon illogique à un SMR dit « important », donc remboursable, dont la notice indique « indiqué en complément d'un régime alimentaire adapté », ce qui avouons-le, est équivalent à l’exemple homéopathique réel cité ci-dessus, alors que la prise en compte des différents facteurs de risques ne justifie pas une prise médicamenteuse scientifiquement active ? Alors que les fibrates sont apparues bien avant les statines, illogismes à but évident commercial, signés par les politiques. Rien, diront les purs scientifiques ; alors, bien souvent, ils abandonneront leurs patients aux pata-pseudo-médecins qui fleurissent avec des titres de plus en plus pompeux (ce qui prouve que la clientèle est de plus en plus importante) en se regroupant dans les plus beaux bâtiments des plus beaux quartiers des grandes villes, comme quoi les « inégalités de naissance » ne protègent pas. Ce qui devrait poser question, en ayant la conscience scientifique tranquille, et en se lavant les mains des résultats parfois catastrophiques qu’ils dénoncent. Rappelons-le, les médecins agissent sur des humains ayant des croyances et non sur des animaux de laboratoire, ce qui nécessite d’avoir une empathie positive orientée vers l'intérêt du patient, et non de les abandonner à une empathie négative orientée portefeuille du pata-pseudo-médecin. Les économistes modernes, suite aux travaux en ce domaine du prix Nobel d’économie 2002, le psychologue Daniel Kakneman, commencent à comprendre qu’une économie scientifique, sans prise en compte du comportemental est source de catastrophes ; d’où le développement de la notion de « nudge », une aide à l’adoption d’un comportement adapté. Dans leur domaine, les médecins contemporains, eux, de moins en moins, mais avouons-le, c’est moins facile.
S’attaquer aux affaires des autres au lieu de s’occuper à améliorer ses propres compétences est la meilleure méthode pour perdre dans tous les cas, en augmentant les extrêmes… En cas de déremboursement de l’homéopathie, ce sera la victoire de l’algorithmique sur le comportemental, ce sera repousser aux calendes grecques l’étude de l’intelligence rationnelle comportementale, parent pauvre de la médecine, applicable par les médecins ; ce sera l’augmentation en nombre de purs scientifiques dogmatiques près ou dans les hôpitaux protecteurs, facteur de désertification en distance physique et surtout en distance humaine comportementale, doublon dont se plaignent patients et politiques, concernant leur santé pour les premiers, et leur carrière pour les seconds. À quand un prix Nobel d’économie (orientée médicale) chez un médecin scientifique ? Et en cas de maintien du remboursement, les dogmatiques de l’autre bord pourront crier victoire, augmenter également leurs effectifs, sans remettre en question le mécanisme de leur action. Je fais quand même amende honorable ; les algorithmiques ont quand même au moins un outil d’intelligence comportementale, car utilisé récemment : l’obligation, qu’ils ont applaudie des deux mains malgré sa nature dictatoriale, et qui est un avant-goût de ce qui nous attend à grande échelle pour rétablir un peu de bon sens, mais imposée par les dégâts provoqués par la prolifération des pata-pseudo-médecins anti-vaccins dont ils sont responsables par abandon du développement d’une vraie intelligence rationnelle comportementale envers leurs patients. Manque de temps, diront-ils…
Vous aussi, vous voulez réagir à l’actualité médicale ? Adressez-nous vos courriers accompagnés de vos nom, prénom et lieu d’exercice à redaction@legeneraliste.fr
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature