Corticoïdes et pneumopathies sévères

Les interrogations subsistent

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Publié le 06/03/2017
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La question de la prescription de corticostéroïdes (CS) dans les infections pulmonaires graves se posait déjà en 1940. L’objectif est de lutter contre la réaction inflammatoire excessive et « l’orage cytokinique », incriminés en particulier dans les chocs septiques ou les syndromes de détresse respiratoire aiguë. L’intérêt de la corticothérapie est acquis dans les pneumocystoses, les méningites bactériennes, ainsi que dans certaines formes de tuberculose miliaire ou méningée mais toujours pas dans les pneumonies aiguës communautaires (PAC).

Des analyses peu concluantes

Deux méta-analyses (1,2) sont parues en 2016 concernant l’efficacité et la sécurité de la corticothérapie dans les PAC. En analysant dans le détail les études colligées, on constate qu’elles souffrent de divers biais. Ainsi dans la plus récente et la plus importante, celle de Blum (3), le critère de jugement - retour à l’apyrexie, absence de tachycardie, d’hypotension et passage à l’antibiothérapie (ATB) per os n’était pas très pertinent puisqu’il témoigne de l’effet anti-inflammatoire inflammatoire des CS et non de la guérison de l’infection. D’autres essais ont un critère de jugement plus solide, mais soit le nombre de patients inclus est très faible, soit la période d’inclusion est très longue. D’autre part les traitements ATB sont très hétérogènes, ce qui rend difficile de faire la part des choses entre leur impact et celui de la corticothérapie, les doses et les durées de corticoïdes différent selon les études, et si certaines se focalisent sur les PAC les plus graves, d’autres concernent toutes les formes. Les résultats sont très controversés, plutôt positifs dans une des méta-analyses mais avec des études de méthodologie imparfaite, plutôt négatifs dans l’autre qui incluait la grande population de l’étude Blum dont le critère de jugement est inadéquat. « Nous n’avons toujours pas d’arguments en faveur de la corticothérapie sur la durée d’hospitalisation ou la guérison des PAC, y compris dans les formes graves », regrette la Pr Claire Andréjak, (CHU Amiens-Picardie) et on ne peut négliger la iatrogénie inhérente à la corticothérapie y compris peut-être un peu plus d’échecs tardifs après traitement par corticoïdes.

Il existe probablement un petit sous-groupe de patients très sélectionnés chez lesquels elle pourrait être bénéfique, éventuellement chez les patients asthmatiques, dans les formes les plus sévères et les plus à risque de chocs septiques associées à une insuffisance surrénalienne mais cela reste théorique.

Des études sont en cours sur la corticothérapie dans les PAC sévères, comme ESCAPe (extended Steroid in CAPs Méthylprednisolone), CAPE-COD, une étude française dans les PAC admises en réanimation ou en unité de surveillance continue (USC), ou l’essai ADRENAL chez les patients atteints de PAC en réanimation.

Pas de corticothérapie dans les pneumopathies grippales

Dans une étude rétrospective menée chez 208 patients atteints de la grippe H1N1 pendant la pandémie grippale de l’hiver 2009/2010, 83 des personnes admises en réanimation avaient reçu une corticothérapie ; or dans ce groupe, la mortalité hospitalière, les surinfections et les pneumonies de même que la durée de la ventilation assistée étaient significativement plus élevées.

Une méta-analyse prospective confirme que tous les indicateurs de morbimortalité sont en défaveur de la corticothérapie. « Parmi les PAC admises aux urgences, les pathogènes en cause sont plus souvent des virus que des bactéries, aussi avant de s’interroger sur une éventuelle corticothérapie, faut-il se poser la question de l’étiologie de cette pneumonie, remarque la pneumologue. Il y a à l’évidence trop de prescriptions en ville de CS et surtout d’anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), et les données de la littérature confirment notre expérience, on affronte de plus en plus souvent des pneumopathies qui se compliquent de pleurésies, d’épanchement pleuraux purulents ou d’abcès pulmonaires chez les patients qui ont reçu des AINS ».

D’après un entretien avec la Pr Claire Andréjak, CHU Amiens-Picardie
(1) Bi Jirui et al. Efficacy and Safety of Adjunctive Corticosteroids Therapy for Severe Community-Acquired Pneumonia in Adults: An Updated Systematic Review and Meta-Analysis, PLoS ONE 11(11): e0165942.
(2) Wan YD et al. Efficacy and Safety of Corticosteroids for Community-Acquired Pneumonia: A  Systematic Review and Meta-Analysis. Chest. 2016 Jan;149(1):209-19. doi: 10.1378/chest.15-1733. Epub 2016 Jan 6.
(3) Blum CA et al. Adjunct prednisone therapy for patients with community-acquired pneumonia: a multicentre, double-blind, randomised, placebo-controlled trial,  Lancet 2015 385(9977):1511–8

Dr Maia Bovard-Gouffrant

Source : Bilan Spécialiste