La loi handicap de 2005 rattrape la profession

Les médecins face au casse-tête de l’accessibilité

Publié le 29/01/2015
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AccessibilitéCabinet

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Crédit photo : S. Toubon

Cette fois, les médecins n’y couperont pas. La loi du 11 février 2005 prévoyait l’accessibilité universelle au 1er janvier 2015. Mais en 2013, seulement un tiers du million d’établissements recevant du public (ERP) pouvait accueillir des fauteuils roulants.

L’ordonnance du 26 septembre 2014 a certes assoupli la procédure de mise aux normes mais a confirmé la nécessité de signaler sa situation aux autorités.

Elle crée des agendas d’accessibilité programmée (Ad’AP), qui accordent des délais supplémentaires pouvant aller jusqu’à 3 ans pour les cabinets médicaux.

Les médecins déjà en règle ont jusqu’au 1er mars pour déposer une attestation en préfecture, les autres doivent réaliser un diagnostic et déposer un Ad’AP (un formulaire Cerfa avec programmation pluriannuelle des travaux) avant le 27 septembre 2015.

Plusieurs contraintes ont été simplifiées et adoucies à la faveur des derniers textes (largeur des portes, pente de la rampe), d’autres ont été rajoutées pour les malvoyants et malentendants. Une nouvelle dérogation, en cas de refus de la copropriété, est venue compléter celles déjà prévues dans la loi de 2005 pour impossibilité technique et économique, ou classement du bâtiment au patrimoine.

Contre-productif ?

Malgré tout, les médecins, même de bonne volonté, sont souvent très remontés. Il y a la colère sèche mais aussi l’incompréhension face à une « usine à gaz » bien française. « On nous met ça [la mise aux normes] sur le dos, alors que rien n’est fait dans les gares ou le métro. 40 ans que je suis installé dans mon immeuble construit en 1972, et je n’ai vu que 2 fauteuils roulants » vitupère le Dr Jean-François Prudent, généraliste à Besançon. « C’est une belle bêtise. Cinq médecins sont partis, deux s’installent à mi-temps. On est débordé : et il faudrait encore remplir des papiers et les déposer en préfecture ! » s’exaspère le Dr Pierre Fouillant, généraliste à Guilherand-Granges, en Ardèche.

« C’est un problème de société, pas un problème de médecin. La ville de Paris doit rendre ses centres de santé accessibles, les libéraux y feront des vacations. Avec un C à 23 euros, on ne peut pas transformer tous les immeubles haussmaniens. Il faudrait raser Paris », tempête le Dr Bernard Huynh, vice président de l’URPS Ile-de-France.

D’autres voix plus policées saluent l’objectif, tout en déplorant la méthode. « C’est logique de favoriser l’accessibilité, mais appliquées à la lettre, ces normes peuvent se révéler contre-productives. Nombre de médecins proches de la retraite menacent de déplaquer », analyse le Dr Éric Van Melkebeke, pédiatre à Plourgernével et secrétaire adjoint de l’URPS Bretagne. « Avec une bonne idée, on risque d’arriver à des conséquences inverses : les cabinets en centre-ville risquent de fermer définitivement ou de se délocaliser en périphérie », prédit le Dr Jean Derrien, de l’UPRS Rhône-Alpes.

Questions en suspens

Beaucoup de praticiens dénoncent la disproportion entre les obligations de mise en conformité et la réalité du handicap dans leurs cabinets libéraux. « Nous nous arrangeons toujours avec les poussettes. Lorsque nous recevons des malvoyants, ils sont toujours accompagnés. Notre système de santé fait que la personne handicapée est souvent happée par l’hôpital ou les structures ad’ hoc », constate le Dr Van Melkebeke.

L’incompréhension est également forte chez les médecins généralistes qui multiplient les visites à domicile.

Malgré les outils mis à disposition par le gouvernement, comme le site accessibilite.gouv.fr qui propose un auto-diagnotic, les médecins sont souvent dans la nébuleuse.

« Depuis le printemps 2014, les règles n’ont cessé de changer. La mise aux normes du cabinet revient-elle à l’utilisateur ou au propriétaire ? En tant que locataire, est-ce qu’il m’appartient de demander à mon propriétaire de mettre aux normes mon local ? » s’interroge le Dr Pierre-Paul Schlegel, généraliste en Alsace et président de l’URPS. La dérogation obtenue appartient-elle au site ou au médecin ? Est-elle cessible ? La question de la succession ajoute de la complexité à cette affaire.

Mouvement en marche

La machine est en marche, de l’aveu même des représentants de la profession. « Nous informons les médecins depuis le troisième trimestre 2012. Aujourd’hui nous leur disons de ne pas s’y prendre en juillet », témoigne la présidente de l’URPS Aquitaine, le Dr Dany Guérin.

La plupart des URPS proposent à leurs adhérents des forfaits pour des diagnostics négociés auprès de sociétés spécialisées, qui peuvent en outre les aider à rédiger leur Ad’AP, pour un prix allant de 350 euros à 520 euros.

Selon une étude réalisée en Bretagne, un quart des généralistes de la région ont demandé la réalisation d’un diagnostic. La moitié entrent dans les clous... des dérogations. Les travaux concernent dans deux tiers des cas les équipements (sonnette, boîte aux lettres, mobilier), avant les sanitaires, la largeur des portes et l’accueil.

Coline Garré

Source : Le Quotidien du Médecin: 9382