Radicalisation, harcèlement...

Les missions renouvelées des maisons des adolescents

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Publié le 30/06/2016
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Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

Centrées sur les manières de grandir face à l’intime, la famille, l’école et la société, les journées nationales, les « Maisons des Ados », ont accueilli plus de 600 participants, dont beaucoup de médecins œuvrant dans ces structures.

« Ces Maisons ont été créées comme l’équivalent, pour les adolescents, de la PMI pour les enfants, résume le Pr Daniel Marcelli, avec l’idée que les grandes pathologies de l’adulte débutent à l’adolescence, y compris la consommation de produits, le suicide, les prises de risques ou l’anorexie. » Si la Maison de Strasbourg, ouverte en 2011, fonctionne dans le cadre d’un groupement d’intérêt public (GIP) associant de nombreux partenaires, sous l’égide de la municipalité, toutes ne disposent pas d’une structure aussi solide, et certaines, strictement municipales ou hospitalières, voire associatives, souffrent d’une grande vulnérabilité économique. Les jeunes de 12 à 20 ans peuvent y venir directement, sans leurs parents, et sont accueillis par des professionnels, dont plusieurs médecins, soit pour de simples entretiens, soit pour des suivis plus longs. Les demandes portent essentiellement sur le « mal-être », sur des questions familiales et scolaires, mais aussi sur des problèmes de troubles du comportement, d’addictions et de sexualité.

Des jeunes radicalisés de plus en plus nombreux

Les Maisons travaillent en partenariat avec les structures sanitaires et sociales de leurs secteurs. La Maison de Strasbourg accueille environ 1 200 jeunes par an et, constate le Dr Guillaume Corduan, pédopsychiatre qui y travaille à mi-temps, une dizaine d’entre eux sont confrontés à des problèmes de radicalisation, le plus souvent islamiste mais parfois aussi d’extrême droite. « Ce sont les parents qui nous alertent et nous amènent ces jeunes, mais certains viennent d’eux-mêmes… pour nous parler de tout à fait autre chose que de cette radicalisation », constate-t-il. Leur nombre augmente fortement dans l’ensemble des Maisons, sans que l’on sache si cela est dû à une progression des vocations… ou à une meilleure information des proches. Parfois, souligne-t-il, quelques entretiens suffisent pour désamorcer la crise, mais les médecins peuvent se retrouver dans des situations très délicates lorsqu’un départ peut sembler imminent. « Nous devons travailler en médecins, relève le Pr Claude Bursztejn, président du conseil scientifique de la Maison de Strasbourg, c’est-à-dire d’abord protéger ces jeunes. » Ici, aucun jeune passé par là n’est parti ensuite, alors même que les Maisons des Ados, en collaboration avec d’autres structures, définissent des méthodes de repérage et des « marqueurs » pour mesurer les risques, tant au niveau des jeunes que de leurs familles. L’expérience acquise au contact des jeunes amène les médecins à voir dans la radicalisation une manière d’apaiser une certaine souffrance intérieure : « Ils se sentent souvent mieux une fois radicalisés », note le Dr Corduan. « Il nous appartient avant tout de détecter et de soigner la souffrance sous-jacente pour éviter la rupture », poursuit-il, dans le cadre d’un travail associant les familles.

Privation volontaire de plaisir

Il se dit par ailleurs frappé de la proximité de la radicalisation avec les consommations de produits ou l’anorexie, et souligne le rapport entre l’islamisme et la privation volontaire du plaisir. « En refusant le plaisir, Daech rassure face à une société du tout plaisir, et offre une forme de rédemption face à la culpabilité liée à la sexualité », poursuit-il. En outre, les Maisons tentent de « remonter les fils » qui mènent à la radicalisation, comme les « hameçons » qui prennent la forme de la « conspiration ». Ces théories du complot traînent un peu partout sur Internet, et permettent de nouer le dialogue avec les jeunes, tout en flattant leur narcissisme car ils vont croire qu’ils ont découvert une vérité que tout le monde leur cachait avant. Ensuite, les recruteurs, excellents psychologues, n’ont plus qu’à resserrer les fils autour de leur future proie, dont le vide affectif facilite aussi l’adhésion, souvent au nom de l’amour.

Pas de « psychiatrisation » du harceleur

Plusieurs autres ateliers et rencontres ont exploré, durant ces journées, la construction de l’intimité des jeunes, mais aussi le fait de grandir dans des sociétés pluriculturelles, ainsi que dans des familles homoparentales. Enfin, un atelier a abordé, autour du Dr Nicole Catheline, pédopsychiatre à Poitiers, les mécanismes et la prévention du harcèlement scolaire. Se refusant à une « psychiatrisation » du harceleur comme du harcelé, le Dr Catheline plaide pour qu’une communauté d’adultes solide et unifiée, c’est-à-dire associant les enseignants, les autres personnels des écoles et les parents d’élèves, contribue d’une même voix à restaurer le dialogue dans la classe. « Le harcèlement, explique-t-elle, c’est d’abord l’échec de la citoyenneté, mais c’est aussi l’occasion de relancer le débat citoyen ». Rappelant l’efficacité des groupes de paroles réunissant toute une classe, y compris donc les harceleurs et leurs victimes, elle invite l’ensemble des intervenants scolaires à se retrouver. De plus, conclut-elle, le harcèlement est directement lié aux mauvaises ambiances scolaires, et disparaît au fur et à mesure que celles-ci s’améliorent.

De notre correspondant Denis Durand de Bousingen

Source : Le Quotidien du médecin: 9509