Coma et post-coma

Les signatures cérébrales de la conscience

Publié le 22/06/2015
Article réservé aux abonnés

La définition même d’état de conscience minimale date seulement de 2002 et les moyens pour tenter de quantifier la conscience sont relativement récents en médecine. Cette question autrefois philosophique, qu’est-ce que la conscience, est ainsi devenue une question scientifique grâce aux progrès de la neuro-imagerie fonctionnelle et plus aucun neurologue en charge d’un patient dont la conscience est altérée, ne peut en ignorer les dernières avancées.

« Aujourd’hui, même si de plus en plus de centres s’y intéressent, notamment pour leurs patients présentant un état altéré de conscience, il y a encore beaucoup de travail à faire, y compris pour convaincre des confrères que si un de leur patient est au lit, immobile et sans parler, savoir qu’il est en état de conscience minimale ou pas, peut réellement changer son pronostic et donc, sa prise en charge : en effet, les patients en état de conscience minimale peuvent ressentir la douleur et doivent donc bénéficier d’une analgésie adaptée. Leur état pouvant évoluer, ils doivent en outre bénéficier d’une rééducation. Ainsi, même si deux patients, l’un en état de conscience minimale, l’autre sans aucune conscience, se ressemblent par bien des aspects cliniques, les conséquences médicales, éthiques et juridiques, elles, n’ont rien à voir » insiste le Pr Laureys (CHU Sart Tilman à Liège [Belgique]).

Quels outils pour étudier la conscience en routine ?

L’étude du coma et du post-coma a longtemps été freinée par l’absence d’outil standardisé. Un premier pas a été franchi en clinique, avec l’échelle de Glasgow mais elle reste insuffisamment précise en cas d’éveil non-répondant d’autant que les signes de conscience fluctuent au cours d’une journée et d’une journée à l’autre. « L’échelle de récupération de coma est beaucoup plus intéressante car bien plus précise : elle permet notamment de mieux repérer les patients en état de conscience minimale et d’interpréter une éventuelle réponse motrice. Chez les patients dits en « état de conscience minimale moins », des mouvements non réflexes, comme une réaction à la douleur, le suivi des yeux d’un proche, etc., peuvent être présents. Chez les patients en « état de conscience minimale plus », existe également une réponse à la commande, par exemple à des ordres simples comme serrer la main. Encore faut-il que le patient puisse avoir une réponse motrice, même s’il a compris l’ordre. Pour pallier un éventuel déficit moteur, un autre test est proposé, le test de tennis qui consiste à s’imaginer bouger sur un court. Ce test permet de faire la différence, grâce à l’imagerie, entre une personne sans conscience et une personne consciente mais incapable de bouger car totalement paralysée. Toutefois il ne peut être réalisé que chez 40 % des patients (il est donc ininterprétable chez 60 % d’entre eux) », explique le Pr Laureys. Pour les 60 % de patients chez qui il n’est pas possible de réaliser une IRM fonctionnelle, par exemple parce que le patient bouge trop, un pet scan avec injection de glucose marqué peut être demandé : « en cas d’état de conscience minimale, on voit la région sollicitée travailler alors qu’en l’absence d’état de conscience minimale, aucune région ne s’allume hormis la moelle épinière et le tronc cérébral », poursuit le Pr Laureys.

Et pour demain ?

Le diagnostic d’état d’éveil non-répondant est difficile et nécessite des outils standardisés et validés. Le patient doit en outre être réexaminé à plusieurs reprises, l’état de conscience pouvant être fluctuant. « Un nouveau test consiste à perturber le cerveau avec une stimulation magnétique et en même temps, enregistrer sa réponse électro-encéphalographique : très fiable, il permet de calculer le Perturbational Complexity Index ou PCI et de quantifier la conscience de chaque patient, sans avoir à lui demander aucune participation. Ce dernier peut donc être sourd, aveugle, paralysé, aphasique, etc., cela ne joue aucunement sur les résultats de ce test. Cependant, pour réaliser un tel examen, il faut un matériel très lourd. Nous sommes pour l’instant les seuls à le proposer chez ces patients en collaboration avec une équipe italienne. Dans le futur, nous espérons que ce type d’examen pourra se simplifier et donc se démocratiser pour faire son apparition dans les hôpitaux, car il peut s’avérer très utile chez un patient chez qui aucun signe de conscience n’a pu jusqu’ici être décelé », explique le Pr Laureys

Mieux définir quel type de test est utile chez quel type de patient en fonction de la cause du coma, de sa durée, du tableau clinique, etc. est encore l’un des nombreux défis que s’est lancé l’équipe du Pr Laureys. Disposer d’une base de données est par ailleurs indispensable pour savoir de combien de patients on parle et ce qu’on peut leur proposer, tant au niveau du diagnostic que du parcours des soins. « Plus nous aurons des examens bien documentés, plus il nous sera aisé de prendre certaines décisions quant au devenir du patient. Cela suppose aussi que de gros efforts soient réalisés pour améliorer le trajet de soins et la rééducation de ces patients. Il faut vraiment augmenter nos efforts pour intensifier la rééducation chez les patients en état de conscience minimale, chez qui il persiste une certaine plasticité cérébrale. Des améliorations sont d’ailleurs obtenues pour un certain nombre d’entre eux : elles prouvent que l’on peut faire mieux que ce qui a été fait jusqu’ici » conclut le Pr Laureys.

D’après un entretien avec le Pr Steven Laureys, directeur du Coma Science Group, CHU Sart Tilman à Liège (Belgique) et directeur de recherche au Fonds de recherche scientifique (FRS, Belgique), auteur de « Un si brillant cerveau » paru aux éditions Odile Jacob, un livre très bien documenté et très abordable pour mieux comprendre le chemin déjà parcouru dans la compréhension de la conscience et les nombreux défis qui restent à relever

Dr Nathalie Szapiro

Source : Bilan spécialiste