Dans les " Souvenirs " de M. Ed. Lockroy que publie le " Temps ", nous glanons de curieux renseignements sur le règlement de vie qu'observait Victor Hugo durant son exil à Guernesey.
" Sa vie était réglée comme un papier à musique et, sauf de légères variantes, la même à Guernesey qu'à Paris, il se levait à six heures, avalait deux ou trois œufs crus, buvait une grande tasse de café noir et se versait une grande cruche d'eau froide sur le dos. Il montait ensuite tout en haut de Hauteville-House, dans ce qu'il appelait son look-out, une sorte de petite serre où, habillé de rouge, la tête nue, debout devant une planche au milieu de cette cloche de verre, il écrivait jusqu'à midi. Il déjeunait, remontait écrire, et à trois heures et demie sortait en calèche avec Mme Drouet qui avait reçu de lui un petit billet doux le matin. Jamais, jusqu'au jour de la mort, le billet n'a fait défaut.
" La promenade était toujours exactement la même et durait le même temps : deux heures. Victor Hugo faisait mentalement des vers et ne disait rien. Mme Drouet pensait à je ne sais quoi et ne disait rien non plus. Cependant, trois phrases, lentement prononcées, toujours les mêmes et toujours dites aux mêmes endroits, coupaient cet absolu silence. En passant devant le mur d'une habitation placée à droite de la route et où sont percées l'une à côté de l'autre deux portes, une grande et une petite, Victor Hugo disait, en montrant la grande :
- Porte cavalière, Madame.
Mme Drouet répondait, montrant la petite :
- Porte piétonne, Monsieur.
"La troisième phrase était prononcée non loin du chemin qui conduit au Gouffre, devant deux vieux arbres qui entremêlaient leurs branches. Victor Hugo disait : - Philémon et Baucis. Mme Drouet ne répondait rien.
Cela s'est passé ainsi, tous les jours, pendant dix-sept ans; et encore après j'ai fait plusieurs fois cette promenade sur la banquette de devant de la voiture. J'ai respecté le silence, j'ai entendu les phrases, et cela m'a paru tout simple. "
On sait, par ailleurs, que Victor Hugo était d'une voracité extrême. N'est-ce pas Théophile Gautier qui a rapporté que le grand poète faisait dans son assiette " de fabuleux mélanges de côtelettes, de haricots à l'huile, de bœuf à la sauce tomate, d'omelette au jambon, de café au lait relevé d'un peu de vinaigre, d'un peu de moutarde et de fromage de Brie " - pouah ! - " qu'il avalait indistinctement, très vite et très longtemps. "
En revanche, Victor Hugo était très sobre: jamais de sa vie, nous confie M. Lockroy, il ne but une goutte d'alcool, ni fuma un cigare : "Il buvait du vin sucré - et Dieu sait ce qu'il y avait de sucre dans son vin ' comme il aurait bu de l'eau, parce qu'il avait soif. Et peu lui importait que le vin fût du vin de Bordeaux ou du vin d'Argenteuil : il n'en sentait pas la différence. "
Plus gourmand que gourmet, même en matière de femmes : son appétit génésique est resté proverbial. " Mon cher ami, disait-il un jour à M. Lockroy, parler une heure, c'est aussi fatigant que de fournir à trois rendez-vous d'amour dans la même nuit. "
Et il avait alors 72 ans…
(La Chronique médicale, novembre 1912)
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