La logique nucléaire l'emporte

L'Inde, l'atome et nous

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Publié le 15/03/2018
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L'Inde, l'atome et nous

L'Inde, l'atome et nous
Crédit photo : AFP

Une commande indienne de six réacteurs EPR, le dernier cri en matière d'électricité nucléaire, n'a pas été concrétisée, mais le président de la République à New Delhi l'a évoquée au terme de son voyage. Les industriels français n'ont pas dit leur dernier mot et la négociation entre les deux pays se poursuivra. La France est en train de terminer une centrale EPR en Finlande, avec dix ans de retard, et elle s'est engagée à construire deux EPR à Hickley Point, en Grande-Bretagne, pour un montant de vingt milliards. Une aventure qui inquiète l'opinion, car Areva a déjà essuyé les plâtres de l'EPR finlandais, en passant un accord avec Helsinki qui la contraint à payer des dédommagements de 450 millions d'euros pour le retard. Bonne affaire, car l'EPR finlandais devait être prêt en 2009 et il ne le sera que l'année prochaine.

C'est un syndrome français. Nous sommes des as quand il s'agit d'innovation industrielle, mais nous sommes en même temps affligés d'une imagination excessive qui nous permet de concevoir le Concorde par exemple, sans nous poser la question de sa rentabilité. Il y a toutes les raisons de craindre que le développement de la filière EPR, magnifique progrès dans le domaine de la production d'électricité à partir du nucléaire, risque de nous coûter plus d'argent qu'il ne nous en rapportera. Areva, déjà sauvée de la banqueroute par une puissante injection d'argent puisé chez le contribuable, pourrait être submergée par la multiplication des commandes.

Nous n'en sommes pas là. On se demande néanmoins s'il est sain, au moment précis où l'enfouissement des déchets nucléaires à Bure (Moselle) soulève des passions aussi violentes qu'à Notre-Dame-des-Landes, de poursuivre à l'étranger le développement d'une production d'énergie qui commence à nous convenir de moins en moins. M. Macron et le Premier ministre indien, Narendra Modi, ont beaucoup parlé de l'énergie solaire. Il est étrange que le président français tente de fourguer à l'Inde une technologie déjà très contestée en France et dont le financement risque d'être introuvable. L'EPR représente un progrès, en termes d'environnement, de sécurité et de prix, par rapport aux réacteurs classiques. Son combustible n'en est pas moins de nature atomique.

Le silence de Nicolas Hulot

La discrétion avec laquelle cet épineux sujet a été rayé des commentaires publics n'empêche pas qu'il soit sur la table. On s'y intéressera sans doute si l'Inde manifeste son intérêt. Il est vrai qu'il s'agit d'un pays immense et surpeuplé, dont la croissance est la plus rapide du monde, qui s'est forgé une classe moyenne de quelques centaines de millions de personnes, dont les besoins sont incalculables et, en somme, M. Macron n'a pas eu tort de manifester sa sympathie aux Indiens, à grands renforts de calins accordés à M. Modi. Il n'empêche que nous devons nous poser la question de la poursuite, par d'autres moyens, de notre politique nucléaire civile. Que l'Inde bénéficie de la technologie la plus récente et la plus inventive n'enlève rien au problème des déchets qui se posera plus tard aux Indiens, sinon aux Français, déjà encombrés par les résidus de 50 années de production d'électricité nucléaire.

On aura d'ailleurs remarqué la discrétion de Nicolas Hulot, ministre de la Transition écologique, à propos de cette affaire. Il s'est contenté de contribuer au silence du gouvernement. Bien entendu, rien n'empêche M. Modi ou ses éventuels successeurs, de renoncer au projet EPR pour l'Inde. Ce qui est remarquable, c'est que l'EPR, à sa naissance, a soulevé le même enthousiasme que celui qui fut accordé au Concorde ou au TGV. Nous découvrons aujourd'hui, avec l'affaire de Bure, qu'il aurait mieux valu imiter Angela Merkel et renoncer à l'électricité nucléaire. Nous avons préféré perfectionner notre système de production. Nous y sommes parvenus, sans, au préalable, nous interroger sur la validité du tout-nucléaire.

 

 

Richard Liscia

Source : Le Quotidien du médecin: 9648