De quand date le mot “ goutte” appliqué à la diathèse que l’on sait ? Ecrit pour la première fois au XIIIe siècle, lisons-nous dans le très savant ouvrage que le Dr Delpech vient de publier, “ Histoire des maladies : la goutte et le rhumatisme ”, le mot “ goutte ” eût été un anachronisme ; il doit être reporté dans son temps et dans son milieu véritable, c’est-à-dire quatre ou cinq siècles plus avant.
La plupart des auteurs reproduisent, sans y changer grand-chose, cette phrase de Guilbert : “ Goutte. Ce nom peu scientifique, donné à la maladie que nous allons décrire, méritait de naître dans un siècle barbare. En effet, si l’on en croit les plus savants glossaires, il s’est montré pour la première fois dans un écrit d’un certain Rodolphe qui florissait en 1270 ”.
Le passage invoqué par les glossaires et par Guilbert est loin d’être le plus ancien où se lise le mot goutte, mais il est assez piquant et il y a lieu d’en donner le texte exact.
Raoul Bocking (Rodolphus Bockingus), moine dominicain, était le confesseur de Saint Richard, évêque de Chichester. Quelques années après la mort de l’évêque, mort survenue en 1253, il écrivit sa vie ; elle a été imprimée dans les “ Acta Sanctorum ”. Il y raconte divers miracles et, entre autres, le suivant : “ Un certain Richard de Catham remplissait les fonctions d’intendant, de bailli comme on dit vulgairement, dans la maison de Saint Richard. Cet homme avait de fréquentes attaques de goutte, maladie qu’on nomme podagre ou arthritis, gutta quam podagrum vel arteticat vocant. Or, un jour, il en souffrait au point de ne pouvoir remuer les pieds. Le saint évêque l’apprit et lui envoya la paire de bottes, botas, qu’il portait d’habitude ; le malade s’en chaussa et aussitôt on put voir, par sa pleine guérison, ce que le contact des pieds sacrés du bienheureux Richard avait pu communiquer de vertu à la peau d’un animal mort car la guérison fut si complète, comme lui-même le répétait bien haut qu’il ne sentit plus jamais la moindre atteinte de son mal ”.
Avant l’époque (1250 à 1270) où le moine Raoul écrivait, Villehardoin, mort en 1213, avait dit dans son histoire de la quatrième Croisade : “Li Quiens (comte) Hues de Saint-paul qui malades cre d’une grant maladie de gote qui le tenait es genols et es piez ”.
Garnier de Saint-Maxence, dans sa “ Vie de Thomas Becket ” écrite en 1572, avait célébré les miracles accomplis sur la tombe du martyr : les morts ressuscités, les bossus redressés, les gutus guéris ”.
Enfin, Ditmar (976-1018), qui fut évêque de Mersebourg, avait écrit dans sa Chronique : “ Du temps de l’abbé Godescalk, il y avait un moine nommé Alaric dont la tête eut beaucoup à souffrir de la migraine, affection qui a deux causes et qui vient soit de la goutte, ex gutta, soit des vers ”.
Les glosaires de Du Gange, de Lacurne de Sainte-Palaye, de Raynouard renferment encore nombre d'exemples montrant le mot goutte employé sous sa forme latine, française ou romane, aux XIe, XIIe, XIIIe siècles.
Mais toutes les citations sont empruntées à des chroniqueurs ou à des poètes, aucune ne l'est à un médecin ; et, pourtant, la littérature médicale était déjà riche à cette époque, grâce aux Salernitains. Le mot goutte n'est pas absolument proscrit de cette dernière, mais elle y est rare. Il y a un contraste évident entre la facilité avec laquelle gote et ses équivalents viennent sous la plume des écrivains profanes et la répugnance que paraissent éprouver les médecins à l'employer. Ce fait seul peut laisser entendre que le mot a une origine populaire.
Au IXe siècle, le mot gutta est déjà en usage pour désigner une maladie ou plutôt un ensemble d'affections. Nous avons cité un manuscrit (M.S. 11218) où on lit une formule : ad gutta artretica aut podagrica qui in juncturas sedit, mais il n'y a là qu'une interpolation un peu moins ancienne que le reste du manuscrit qui remonte au IXe ou même au VIIIe siècle. En revanche, on ne saurait élever la même objection avec le M.S. 11219, dans lequel est le Liber Medicinalis dont il a été déjà question.
Or c'est à maintes reprises et dans le corps même de cet ouvrage que le mot gutta se rencontre avec une acception et dans des conditions qui nous apprennent la véritable origine et le sens exact de ce mot au IXe siècle, date du manuscrit.
Ces exemples, et d'autres encore que nous passons sous silence, éclairent le sens qu'on donnait alors au mot de goutte :il désignait une disposition générale, une diathèse qui pouvait se révéler par diverses affections telles que l'arthritis, le podagre, le lumbago et d'autres encore.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature