Entretien avec Éric Baseilhac
« Étaler les coûts sur plusieurs années lisse l’effet de bosse »
Quel sera l’impact en matière budgétaire des innovations thérapeutiques dans les maladies rares ?
Éric Baseilhac. Nous nous sommes livrés à un travail prospectif inédit pour les cinq années à venir. Le surcoût pour les thérapies géniques et cellulaires, par exemple serait de l’ordre de 7 milliards d’euros. La disruption n’est pas tant liée aux prix qu’à la concentration de la dépense sur un court terme pour traiter les populations prévalentes alors que la guérison des patients provoque à moyen et long terme des économies faramineuses. Cette analyse révèle que nos modes actuels de régulation du médicament ne sont pas adaptés au défi de l’accès des patients français à l’innovation.
Les maladies rares seront-elles encore une priorité après la Covid-19 ?
E. B. Dans les suites de la Covid-19, notre crainte serait que le financement des maladies rares soit regardé à l’aune de leurs faibles populations. Il ne faudrait pas tomber dans des raisonnements de coûts d’opportunités qui écarteraient l’innovation lorsqu’elle est destinée à un nombre limité de patients en raison des besoins de financement importants qu’il faut évidemment mobiliser pour l’hôpital et les soignants. Opposer les urgences serait irresponsable et placerait pour longtemps la France en marge du progrès thérapeutique. Les innovations destinées aux maladies rares sont motrices pour le progrès thérapeutique et les patients français. Ceux-ci après avoir été exposés à la crise de souveraineté que nous venons de traverser, ne peuvent pas affronter demain une crise de l’innovation.
Pourquoi les prix sont-ils élevés ?
E. B. Les coûts de recherche et développement, les coûts de gestion pour les médicaments destinés à des populations importantes ou restreintes sont relativement comparables et ne peuvent être amortis que par des prix plus élevés pour les maladies rares.
Pour les thérapies géniques, s’ajoute le coût très important du ticket industriel que représente la création d’usines ex nihilo.
Le vrai sujet est celui du financement. Les thérapies géniques, qui se caractérisent par un effet s’exerçant sur toute la vie après une administration unique, concentrent leurs coûts à court terme et génèrent des économies potentiellement importantes à moyen et long terme. Étaler ces coûts sur plusieurs années permettrait de lisser l’effet de « bosse » budgétaire. L’exemple de l’hémophilie sévère est illustratif de ce point de vue. Ce sont près de 2 000 patients qui pourraient bénéficier d’une thérapie génique dans cette indication dès 2021 alors qu’une fois cette population prévalente guérie, le nombre de nouveaux patients ne dépassera pas une trentaine par an. Fractionner le coût de traitement de la population prévalente sur 5 ans permettrait durant cette période de ne pas dépenser plus que les 600 millions d’euros que l’assurance maladie dépense actuellement sans guérir les patients…
Mais le CEPS ne souhaite pas adopter ce nouveau dispositif.
E. B. Aujourd’hui les dépenses de médicaments sont exécutées dans le cadre de la LFSS votée par le Parlement chaque année. Cette myopie à un an est particulièrement inadaptée à la régulation économique de l’innovation. Nous appelons à la création d’un fonds d’investissement pluriannuel pour financer les innovations de rupture. C’est une réforme absolument nécessaire si on veut pouvoir accueillir ce choc (heureux) d’innovations qui nous attend durant les dix prochaines années. Le CEPS a également sa pierre à apporter en proposant des mécanismes qui donneraient la possibilité d’organiser le fractionnement des paiements avec les hôpitaux et l’assurance maladie.
Mais l’efficacité à long terme n’est pas démontrée
E. B. Comment garantir la guérison sur la base d’études cliniques qui démontrent, au mieux, au moment de l’évaluation, qu’une efficacité sur quelques années ? Cette incertitude ne doit plus être considérée comme une barrière à l’entrée des innovations, mais doit être un levier d’intelligence dans les négociations. La création des « contrats de gestion de l’incertitude » permettrait de suivre ces thérapies dans le temps en adaptant leurs conditions de prix aux performances constatées dans la vie réelle.
Comment ont réagi les autres pays européens ?
E. B. Ils ont commencé par adapter le budget qu’ils consacrent aux médicaments au défi de l’innovation : le Royaume-Uni projette sur cinq ans un effort budgétaire croissant de 2 % par an, l’Espagne a décidé d’indexer la croissance de son enveloppe médicament sur celle du PIB, l’Italie la corrèle à la croissance de l’ensemble des dépenses de santé. On est très loin du taux de 0,5 % accordé en France pour 2020 ! Notre pays continue à réguler les médicaments dans une enveloppe fermée, condamnant l’innovation à être rémunérée par la baisse des prix des produits matures. Cette politique, inadaptée aux périodes d’innovation très dynamiques comme celle que nous traversons, est en grande partie responsable du phénomène de délocalisation de l’industrie pharmaceutique. Il est urgent de replacer le médicament au cœur des politiques de santé. Pourquoi ne sommes nous pas invités au Ségur de la santé ?
Entretien avec Jean-Patrick Sales
« Les deux inconvénients du paiement étalé »
Le CEPS affirme ne pas être débordé par l’arrivée prochaine de plusieurs thérapies géniques. Est-ce bien raisonnable ?
Jean-Patrick Sales. Aujourd’hui, on ne voit pas ce qui s’opposerait à la prise en charge selon les règles en vigueur des thérapies géniques et cellulaires. En effet, les dépenses de médicaments sont stables depuis les années 2010. Ce qui est par ailleurs reproché par les industriels. Les médicaments innovants arrivent sur le marché, comme en témoignent les accords conclus autour des CART. À ce propos, les négociations de prix ne se sont pas révélées singulières ou atypiques. Simplement, ces thérapies obligent à une réorganisation du circuit du médicament hospitalier. En vérité, les difficultés sont plutôt en aval des discussions tarifaires.
Dans le même temps, le CEPS récuse l’introduction de nouveaux modes de tarification comme les contrats de performance en invoquant des expériences étrangères décevantes.
J-P. S. J’ai la satisfaction d’être de moins en moins solitaire sur ce sujet. Le Comité a, par le passé, conclu des accords sur des prix conditionnels, à savoir accorder une valeur supérieure à celle que lui avait attribuée la Commission de la transparence. Un prix plus élevé a alors été octroyé. Et au moment de la nouvelle évaluation du produit qui devait trancher le débat sur l’incertitude de la valeur, dans tous les cas, à savoir une quinzaine de contrats sur une décennie, le même niveau d’ASMR a été conservé. C’est déjà une première déception. En outre, la partie du contrat qui doit s’activer lorsque l’hypothèse favorable n’est pas au rendez-vous généralement n’a pas été exécutée. Ce qui a entraîné une nouvelle négociation. Et s’est soldé par la non-récupération partielle des dépenses engagées à tort. C’est un raisonnement prudentiel qui incite désormais à ne plus conclure ce type de contrat.
Peut-on toutefois envisager d’autres alternatives comme les paiements échelonnés dans le temps ?
J-P. S. Le paiement échelonné présente deux inconvénients. D’abord, il n’y a pas de substrat réglementaire ou législatif pour mettre en œuvre ce type de procédure. Mais à quoi sert l’étalement du paiement ? Confrontés à de grandes difficultés de trésorerie, nous serions donc demandeurs de ventiler une dépense sur plusieurs années. Cette question n’a pourtant pas été soulevée lors des premiers cas de transplantation d’organes ou lors de la mise en place de dispositifs médicaux coûteux. Aucun acteur n’a davantage suggéré de louer une prothèse ou de pratiquer du leasing sur un implant. À ce jour nous ne sommes pas confrontés à des difficultés de trésorerie. L’étalement des paiements n’est pas, pour nous, à l’ordre du jour.
Comment faire baisser les prix ?
J-P. S. Je ne connais qu’un moyen, celui de refuser l’accès du produit, ou sa prise en charge. C’est une discussion qui ne concerne pas seulement le tarificateur mais la société dans son ensemble. Par ailleurs, nous ne retenons pas le coût de production dans la fixation des prix. Jusque dans les années quatre-vingt, le prix du médicament reposait sur les coûts de revient industriel. Mais cela s’est révélé très inflationniste et surtout déconnecté de la valeur. À l’époque où la majorité des médicaments innovants ne sont plus produits dans l’Hexagone, la description précise d’un coût de production dans une économie mondialisée se révèle complexe. Depuis on a retenu le principe d’une rémunération à la valeur. Nous n’avons aucune difficulté à envisager un prix élevé pour un traitement efficace, quelle que soit la facilité ou non à le produire. Je me garderai bien de faire des hypothèses sur la manière dont les big pharma construisent les prix.
Quelles sont les pistes pour optimiser le processus ?
J-P. S. Deux pistes, déjà empruntées par d’autres pays sont possibles. L’approche médico-économique est le seul moyen pour mettre en regard un traitement one-shot dans un scénario de pathologie chronique. Les analyses de sensibilité qui précisent le risque d’erreur sont là pour rassurer les acteurs sur l’impact de l’inconnu. L’analyse médico-économique a été balkanisée à la fois par les industriels et les pouvoirs publics. On avait tous l’impression que la négociation à l’ancienne était préférable. En l’absence de cet outil, le risque est de dire n’importe quoi. L’enjeu pour les industriels est de nous aider à construire une représentation de ce qu’est un traitement one-shot. Ceci devra être validé par la commission concernée de la HAS. Une fois la solution partagée avec tous, la discussion tarifaire sera beaucoup plus aisée. La seconde piste qui n’est pas utilisée serait de raisonner comme un acheteur avec la mise en place de dispositifs relevant de l’appel d’offres avec un nombre limité de produits retenus. C’est un moyen radical de faire baisser les prix. Ce n’est pas à ce jour la philosophie du CEPS ni sa mission. On se transformerait en mégacentrale d’achat. Je suis très partagé au regard des résultats. La massification des achats au niveau des établissements a été plutôt délétère sur la disponibilité de certains produits. La majorité des ruptures d’approvisionnement se produit dans les marchés à prix libres et non administrés. Nous sommes attachés à ce que soit présent un maximum de produits sur le marché, issus d’un maximum d’acteurs. C’est cette concurrence qui sécurise l’accès et permet de faire baisser les prix.
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