À J-10 « Madame Accessibilité » parle aux médecins

Marie Prost-Coletta : « Il y a une loi, il faut la respecter ! »

Publié le 18/09/2015
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Qui n’a pas déposé son ADAP ? Les médecins libéraux dont les locaux ne sont pas aux normes handicapées sont en effet censés renseigner un « agenda d’accessibilité programmée » d’ici au 27 septembre... À J-10 de cette échéance, la déléguée ministérielle à l’accessibilité s’adresse pour la première fois à nos lecteurs. Sans langue de bois, Marie Prost-Coletta se montre ferme sur les sujets qui fâchent. Mais son discours n’est pas une fin de non-recevoir aux dérogations. Et d’ailleurs certaines ont déjà été accordées, nous explique-t-elle.

Le Généraliste Même si les établissements accueillant du public ne sont pas au rendez-vous de 2015, le gouvernement affiche un objectif 100 % accessibilité : combien de temps faudra-t-il pour y arriver ?

Marie Prost-Coletta. 100 % d’accessibilité, c’est quelque chose d’un peu utopique. Mais rester là où nous en sommes aujourd’hui, ce n’est pas acceptable. Le législateur a souhaité qu’en dix ans la France devienne complètement accessible. Cela a constitué un bon moteur pour mobiliser les acteurs. Cela a été efficace dans tout ce qui est neuf puisque tout ce qu’on inaugure aujourd’hui est accessible, les maisons de santé par exemple. On se situe bien dans la nécessité d’aller plus loin dans l’accessibilité. Il y a dix ans, c’était une volonté politique forte du président Chirac, mais il faut tenir compte de la réalité de notre société. Il y a le temps de la réalité et le temps de la volonté politique, et le temps de la volonté politique est revenu en 2015 mâtiné de réalisme. C’était une vraie promesse faite aux personnes handicapées. La dynamique a été mise en place et il fallait redonner du souffle à tout ça, c’est ce que nous a demandé Jean-Marc Ayrault.

À deux semaines de la date limite des dépôts des agendas d’accessibilité (ADAP), peut-on estimer le nombre d’établissements qui ne sont pas aux normes de l’accessibilité ?

M. P.-C. On estime entre 25 % et 40 % les établissements déjà accessibles. On ne peut pas vraiment savoir car nous ne connaissons pas le nombre exact d’établissements recevant du public. Ce que l’on sait, c’est ce qui a été rendu accessible parce que nos services suivent tous les travaux qui sont faits en France, auxquels peuvent être ajoutées toutes les constructions neuves. Selon les secteurs d’activité, les taux d’accessibilité ne sont pas les mêmes ; les pharmacies, par exemple, c’est bien. Pourquoi ? Parce que ce qui fait leur chiffre d’affaires, ce sont les personnes âgées et les poussettes. Ceux qui avaient un intérêt immédiat ont su faire.

Que diriez-vous aux médecins qui n’ont pas encore aménagé leur cabinet ou déposé leur ADAP ?

M. P.-C. à ceux qui laissent entendre que les médecins ne savaient pas, je rappellerai que la loi date de 2005, les textes étant sortis en 2007. Tous les médecins qui s’installaient à partir de 2011 devaient le faire dans un établissement accessible. Dire qu’on ne savait pas, ce n’est pas vraiment audible. En 2010, nous avions fait, à la demande de MG France et avec l’Ordre également, et avec eux, un guide sur « comment rendre ses locaux accessible ». Ce document était sur notre site internet, sur celui de l’Ordre.

Quand le Premier ministre nous a demandé de mettre tout le monde autour de la table pour trouver la façon de dépasser la date du 1er janvier 2015, les médecins ont été associés aux concertations, aux 140 heures de réunion. Ils ont été entendus. Étant donné l’intérêt de l’Ordre et des syndicats sur la question, j’ai du mal à croire que l’information soit restée confidentielle. Et pour ceux pour qui l’accessibilité ne serait pas totalement intuitive sur le site internet, un outil d’auto-diagnostic pour les cabinets des professions libérales a été mis à disposition. Cela permet en dix minutes de savoir ce qui ne va pas. Je dirai donc à ceux qui n’ont pas procédé aux aménagements de s’informer et de déclarer, le plus rapidement possible, soit que leur local est accessible, soit de déposer un ADAP. Il est préférable d’entrer dans la démarche plutôt que de l’esquiver.

Quelles dérogations existent  aujourd’hui ?

M. P.-C. Certains éléments ont été débattus à la demande des médecins. Ils voulaient savoir comment faire quand on est dans un bâtiment d’habitation et dépendant d’une copropriété. À leur demande a été ajouté un élément complémentaire de dérogation. Il existait déjà trois dérogations possibles : s’il y a disproportion manifeste au niveau du coût, si l’architecte des bâtiments de France estime qu’il y a une atteinte au patrimoine ou si les travaux risquent de porter atteinte au bâtiment. À cela s’ajoute donc la dérogation qui dit que lorsqu’on est en étage dans un bâtiment d’habitation et que la copropriété refuse la mise en accessibilité, alors la dérogation est automatique. Elle n’est même pas examinée par une commission. C’est un sérieux pas vers les professions médicales.

Quelle est la tolérance sur les demandes de ce genre ?

M. P.-C. Aujourd’hui, 21 % des dossiers de demandes de travaux intègrent des dérogations et, en 2014, 87 % sont acceptées. Il faut être réaliste, je veux que l’accessibilité progresse mais il ne faut pas non plus faire fuir les opérateurs, on ne peut pas être dans le dogmatisme. Les dérogations, quand elles sont justifiées, sont accordées. Nous ne sommes pas là pour stigmatiser.

Et les visites à domicile ? Et les plateformes médicales accessibles ? Ne pourraient-elles pas être des alternatives à la mise en accessibilité ?

M. P.-C. Cela ne peut pas remplacer une mise en accessibilité car ça s’appellerait de la discrimination. Vous obligez certains publics à aller à certains endroits alors que d’autres peuvent aller où ils veulent. Le juge l’a déjà condamnée et condamne régulièrement sur ce fondement. Évidemment, si le cabinet n’est pas accessible et qu’une dérogation est possible et qu’en plus le praticien indique qu’il se déplace à domicile où dans des lieux accessibles, là cela devient jouable. La loi stipule que tous les bâtiments doivent être accessibles. Et pour le reste, je dis aux médecins, «?mettez-vous quand même en règle ». Aujourd’hui, les associations de personnes handicapées vont être très attentives aux règles et vont saisir le juge. Je ne veux pas faire peur, je dis juste qu’il y a suffisamment d’éléments dans la loi pour ne pas se mettre hors-la-loi.

Certains syndicats incitent les médecins à ne pas déposer d’Adap. Comment réagissez-vous à cela ?

M. P.-C. Je me demande comment un syndicat responsable peut engager la responsabilité de ses adhérents : responsabilité civile, responsabilité pénale, responsabilité morale…

Nombre de médecins évoquent des difficultés financières pour rendre leurs locaux accessibles. Est-il envisageable de les aider financièrement ?

M. P.-C. L’État n’a pas eu les moyens de respecter la loi, les collectivités non plus. Je n’ai pas entendu de gestionnaires d’ERP (établissements recevant du public) privés s’exclamer « Youpi, on met tout en accessibilité, y’a pas de souci ! ». Nous sommes dans une société où l’argent se fait rare, où le premier euro dépensé doit être efficace. C’est pour cela que nous avons travaillé à la simplification de réglementation pour que les petits ERP de cinquième catégorie puissent se mettre en accessibilité. Il y a eu un pas énorme fait pour simplifier et permettre beaucoup plus sereinement d’aménager les locaux. On ne discrimine pas dans un sens ou dans un autre. Ajoutons que, dès 2005, le Conseil d’État a précisé que c’était à chacun de prendre ses responsabilités au niveau financier.

Quid de la dérogation pour disproportion financière  ?

M. P.-C. Un médecin pourrait être concerné s’il gagne moins d’1,5 Smic. Cette dérogation ne me semble pas réellement adaptée au secteur médical, hormis peut-être ceux qui viennent de s’installer depuis quelques mois… Ou, alors, il faut envisager le cas d’un médecin qui devrait installer un ascenseur au troisième étage : là il y a manifestement disproportion entre le coût de l’opération et les gains. Cela dit, tout s’étudie, dossier par dossier. Il n’y a pas de refus a priori. L’objectif est que tout le monde respecte la loi et que l’accessibilité progresse.

Si certains professionnels ne déposaient pas d’ADAP au 27 septembre, que risquent-ils ?

M. P.-C. Tout dépend de leur état d’esprit. Soit ils s’en inquiètent et finalement ils se décident à faire un ADAP. Ceux-ci seront encore acceptés après le 27 septembre parce que l’objectif reste l’accessibilité. S’ils peuvent expliquer le retard, le préfet le validera. Sans justificatif du retard, l’acceptation de l’ADAP pourra être accompagnée d’une sanction financière de 1 500 euros. Mais, dans tous les cas, ils sont tranquilles, ils rentrent dans la loi. S’ils ne déposent rien, pour une personne physique le juge peut aller jusqu’à 45 000 euros d’amende une première fois, puis une deuxième fois, voire condamner à un emprisonnement, même si on n’en arrivera probablement pas là. J’ajoute que le non-dépôt d’un ADAP est aussi sanctionnable par le préfet. Reste que le fait d’avoir payé les sanctions pénales ne lève pas l’obligation de faire les travaux.

Le gouvernement prendra-t-il le risque de sanctions alors que certaines communes manquent de médecins ?

M. P.-C. Toutes les communes manquent de boulangers, d’école... Il y a une loi. Il faut la respecter. L’objectif n’est pas la sanction, c’est l’évolution de notre cadre de vie qui facilite la vie de tous. Notre mission est d’aider à entrer dans le dispositif, de donner de l’information, faire de la communication. Oui, l’appui et l’aide ont un rôle essentiel. Pour cela, il y a un site internet (www.developpement-durable.gouv.fr/-Accessibilite-.html), des correspondants « accessibilité » dans chaque département et l’information est disponible auprès des organisations professionnelles, les CCI...


Source : lequotidiendumedecin.fr