Confronté à l'aggravation des déficits sociaux, Jean-François Mattei veut montrer qu'il garde le cap, en bon capitaine du navire de la Sécu ballotté au gré d'une croissance apathique.
Dans un long entretien au « Figaro » du 7 avril, le ministre de la Santé affiche, quelques jours après Jean-Pierre Raffarin, sa volonté de réforme : dès l'automne, le gouvernement va « repenser » la gouvernance de la Sécurité sociale et redéfinir la place de la solidarité nationale, en reconsidérant la part de l'assurance-maladie et des complémentaires. Le calendrier sera tenu. D'autres mesures d'économies, conjoncturelles, ne sont pas exclues mais le ministre, hélas, n'en détaille aucune. « Ne vous y trompez pas, je suis profondément réformateur », martèle-t-il. Il ne reviendra pas sur la politique du générique ni sur le déremboursement des médicaments à SMR insuffisant. Et si le Conseil d'Etat annule certaines baisses de remboursement prévues, le gouvernement réagira « très vite ». La gestion hospitalière sera revue et la tarification à l'activité mise en place.
Mais c'est surtout au chapitre de la médecine de ville, et en particulier des spécialistes, que la fermeté des propos tenus au « Figaro » prend un relief particulier. Pour la première fois, Jean-François Mattei dit sans détour sa déception, où perce aussi une pointe d'agacement, même si le ministre, qui a retenu les leçons du plan Juppé, reste défavorable « à la politique du bâton », convaincu qu'on ne pourra réformer qu'avec l'adhésion des médecins . « Je ne désespère pas et je n'abandonnerai pas l'idée de les convaincre, déclare Jean-François Mattei . C'est vrai, je suis déçu qu'ils (les spécialistes) n'aient pas concrétisé l'accord du 10 janvier avec les caisses. Tant qu'ils n'entreront pas dans une logique de responsabilité, tant que le volume des actes augmentera de manière injustifiée, nous ne nous en sortirons pas. Globalement, depuis 1995, les revenus des spécialistes ont progressé. Pas de façon homogène, il est vrai, et en particulier pas pour les cliniciens. Mais j'ai ouvert la voie de la confiance, c'est maintenant à eux de faire des propositions ». Sous-entendu : des propositions acceptables par la collectivité nationale, et donc par les pouvoirs publics.
Pour le Dr Dinorino Cabrera, président du Syndicat des médecins libéraux (SML), l'intervention de Jean-François Mattei est plutôt « maladroite ». « Le ministre a-t-il tant besoin de la CFDT pour ne pas évoquer, aussi, la part de responsabilité des caisses dans cet échec ? » demande-t-il. D'autant que le ministre redit clairement son opposition aux espaces de liberté tarifaire, pierre d'achoppement des négociations (avant que les partenaires n'envisagent de conclure un accord a minima). « Je le répète, on ne peut pas libérer les tarifs, sauf à compromettre l'égalité (d'accès) aux soins », tranche Jean-François Mattei. Une déclaration qui fait écho à la prise de position en ce sens de Jean-Marie Spaeth, président (CFDT) de la CNAM.
Jean-François Mattei préfère « responsabiliser les patients » sur le modèle de la réforme du remboursement de la visite à domicile . Pour les consultations, il n'est « pas opposé » à la mise en place d'un système coordonné organisant le parcours du malade dans le système de soins et conduisant à un moindre remboursement des patients en dehors de cette coordination. Au cours des négociations, les caisses et les syndicats avaient précisément envisagé un tel système qui aurait permis de revaloriser les consultations spécialisées (CS) dans le cadre d'une meilleure coordination des soins. A l'inverse, l'accès direct, non médicalement justifié, du patient au spécialiste aurait été moins bien remboursé par la Sécu. Des discussions qui n'avaient pu aboutir.
Mieux contrôler les IJ
Le ministre se tourne enfin vers les caisses dont il attend qu'elles « exercent un contrôle sur les arrêts de travail et les indemnités journalières qui sont trop souvent utilisées comme des préretraites». On sait que ce poste de dépenses a très fortement augmenté depuis environ un an.
A la tête du grand ministère qu'il avait exigé (alors que Bernard Kouchner n'avait pu l'obtenir), Jean-François Mattei, qui reste populaire dans le corps médical, mesure l'étroitesse de sa marge de manuvre. Le vieillissement de la population et le progrès médical, explique-t-il, tirent les dépenses de santé vers le haut mois après mois, bien au delà du rythme de croissance du PIB. La mauvaise conjoncture tarit les recettes. Tout cela est parfaitement exact. Mais, du coup, certaines affirmations du ministre semblent relever de la méthode Coué. « La médecine de ville va trouver sa voie, annonce-t-il. Les médecins ont du mal à accepter les changements, ils sont dans une recherche identitaire, et ils ont besoin d'être accompagnés ». Comme si cela ne suffisait pas, la CNAM souligne de son côté que, à l'exception des seuls spécialistes, toutes les professions de santé libérales (dentistes, kinés, infirmières, sages-femmes, transporteurs sanitaires...) se sont désormais mises en conformité avec la loi du 6 mars 2002 rénovant les conventions. Une autre façon de mettre la pression sur les représentants des spécialistes.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature