Tribune

Médecins généralistes, attention à l'hyperactivité !

Publié le 27/05/2019

18 minutes de colloque singulier pour 54 heures d’activité hebdomadaires : telle est la durée moyenne d’une consultation au cabinet selon une étude de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES). Cela représente environ 180 consultations hebdomadaires ou 36 par jour. Il s’agit d’une moyenne, 40 % des généralistes déclarant notamment qu’une consultation dure en général 15 minutes (tandis que pour un tiers, c’est 20 minutes). 

Cette étude constitue indéniablement pour tout médecin généraliste un référentiel très instructif, surtout pour ceux ayant un important volume d’activité. C’est aussi l’occasion de rappeler qu’une hyperactivité peut être considérée comme une atypie, et donner lieu à un contrôle d’activité par le service du contrôle médical, lequel s’exerce dans le cadre des articles L 315-1 du code de la sécurité sociale. Si à l’issue de ce contrôle, des anomalies sont relevées, la section des assurances sociales de la chambre disciplinaire des médecins pourra être saisie par le service médical et/ou la Cpam. Cette hyperactivité, et ses conséquences, seront alors examinées minutieusement à l’aune de plusieurs obligations déontologiques fondamentales, énoncées aux articles R 4127-32, 5 4127-33 et R 4127-40 du CSP.

D’ores et déjà, il y a lieu de rassurer : l’hyperactivité n’est pas en soi sanctionnée. C’est ainsi que la section des assurances sociales a pu juger que concernant « l’hyperactivité  » du Dr M, « le médecin-conseil plaignant fait valoir que l’exécution au cours des seules journées du 5 janvier 2009 et du 4 juin 2010, respectivement de 126 actes dont 91 consultations et 35 visites et de 104 actes dont 77 consultations et 27 visites (…) en l’absence de toute disposition prévoyant une durée minimale de l’acte accompli par un médecin, la circonstance, pour regrettable qu’elle soit, qu’un médecin effectue au cours d’une journée donnée un très grand nombre d’actes dans un temps nécessairement limité, ne suffit pas à soi seule, en l’absence en particulier de toute indication concernant les pathologies présentées par les patients en cause, à établir que ceux-ci n’auraient pas reçu de la part du Dr M. des soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science au sens de l’article R 4127-32 du code de la santé publique  ; qu’ainsi,… il n’y a pas lieu de retenir le grief  » (CNOM, sect. des assurances soc., 13 févr. 2014, n° 5007).

Sanctions possibles, mais pas automatiques

En revanche, l’hyperactivité peut être un élément parmi d’autres justifiant le prononcé d’une des sanctions prévues par l’article L 145-2 du CSS : c’est ainsi que la Section des assurances sociales a pu estimer que, pour une moyenne quotidienne se situant à près de 70 actes (56 consultations et 14 visites) « le nombre d’actes quotidiens constatés ainsi sur une longue période est incompatible avec la qualité des soins » (CNOM, sect. des assurances soc., 2 févr. 2011, n° 4741). Cette faute, parmi d’autres relevées, a justifié le prononcé d’une sanction.

En l’espèce, cette hyperactivité est apparue incompatible avec une qualité des soins, et il a été en outre relevé qu’elle était accompagnée d’une violation de l’obligation de « limiter ses prescriptions et ses actes à ce qui est nécessaire à la qualité, à la sécurité et à l’efficacité des soins (…) » (article R 4127-8 du CSP). La section des assurances sociales relevant notamment plusieurs actes facturés le même jour à un même patient. Après examen minutieux de chacun des dossiers, il a été estimé qu’aucune justification pertinente n’avait pu être apportée à ce nombre atypique d’actes, et c’est cela qui a justifié le prononcé d’une peine (interdiction de donner des soins pendant trois mois avec sursis). On peut se demander si dans ce cas, la multiplicité des facturations n’était pas effectuée avec une certaine légèreté, sans réelle justification ?

Facturations fictives sévèrement punies

Les juridictions disciplinaires sont nettement plus sévères lorsque sont suspectées des facturations fictives de consultations, des facturations injustifiées au mépris de l’obligation de limitation des prescriptions et des actes (article R 4127-8 du CSP) : ainsi, la section des assurances sociales a pu juger qu’« une moyenne de 72 actes par jour soit 70 consultations et 2 visites avec deux journées où le Dr C a effectué une moyenne de 105 actes par jour  ; qu’un tel volume d’actes a été incompatible avec la qualité nécessaire des soins et a été, en partie, par son ampleur, dénué de toute vraisemblance  ; qu’en outre, dans 11 dossiers, le rythme d’une à deux consultations par semaine pour les patients concernés, pendant de très nombreuses semaines n’était pas justifié par l’état de santé desdits patients et que, dans 21 dossiers, le Dr C a facturé des consultations mensuelles quasi-systématiques de patients « chroniques  » pour obtenir le renouvellement de leur traitement, en méconnaissance de l’obligation déontologique rappelée par l’article R 4127-8 du code de la santé publique qui impose au médecin de limiter ses prescriptions et ses actes à ce qui est nécessaire à la qualité, à la sécurité et à l’efficacité des soins ». L’interdiction de donner des soins prononcée a été de neuf mois, dont six avec sursis (CNOM, sect. des assurances soc., 23 avr. 2013, n° 4965). 

Il arrive en effet que l’hyperactivité, qui a justifié que soit effectué un contrôle de l’activité du médecin généraliste, révèle d’autres anomalies. Tel est le cas d’un praticien dont les consultations avaient été estimées à 9 minutes (ce qui rendait le colloque singulier singulièrement court !), et pour lequel les anomalies découvertes par le médecin-conseil en charge du contrôle présentent un caractère plus grave : prescription de traitements de substitution aux opiacés dans des conditions non conformes aux données acquises de la science ; nombreuses prescriptions de buprénorphine (Subutex) à la dose maximum assorties de très fréquents chevauchements de prescription ;  prescription de méthadone à un patient qui bénéficiait également d’un traitement par Skénan prescrit par son médecin traitant ; prescription de Skénan hors AMM sans justification médicale. En appel, la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins a prononcé une interdiction d’exercer de deux ans, dont un an avec sursis (CNOM, ch. disciplinaire nationale, 2 mai 2016, n° 12921).

À la lecture de ces quelques décisions, les médecins généralistes particulièrement actifs ont-ils lieu de s’inquiéter ? À notre sens, non. Comme cela a été souligné, l’hyperactivité n’est en soi pas condamnable. Et cela est rassurant car nombre de généralistes sont souvent soumis en premier lieu à des pressions environnementales et également financières, les contraignant parfois à devoir multiplier le nombre de consultations et visites.

Le rapport de la DREES révèle que deux heures hebdomadaires sont consacrées (hors formations) à l’actualisation des connaissances : il est certain que ne doit jamais être perdue de vue la nécessité de respecter les obligations afférentes à la formation continue (articles R 4133-1 et R 4127-11 du CSP). Leur non-respect sera apprécié très sévèrement, surtout si le praticien a commis une faute. 

Maître Jacques-Henri Auché, Avocat au barreau de Montpellier, jh.auche@ah-avocats.fr

Source : Le Quotidien du médecin: 9753