Un enjeu majeur à partir de 75 ans

Optimiser la prescription médicamenteuse

Par
Publié le 10/11/2016
Article réservé aux abonnés
PRESCRIPTION

PRESCRIPTION
Crédit photo : PHANIE

Le médecin généraliste est loin d’être seul maître à bord pour traiter ses patients de 75 ans et plus. La plupart sont polypathologiques et poly médicamentés. Les patients les plus graves, aux parcours complexes, cumulent prescripteurs et ordonnances. Optimiser les traitements est un enjeu majeur de santé. En dépend, la qualité de vie des patients, l’efficience des soins, les hospitalisations évitables

Avec le temps, les diagnostics se sédimentent. Les médecins - en ville comme à l’hôpital - listent les pathologies sans grande précision lorsqu’ils adressent un patient. « Il est important d'apporter des précisions dans les antécédents et des éléments de preuve dans les diagnostics », recommande le Pr Sylvie Legrain. Quant à l’observance, « même très âgés, les patients adaptent souvent leur prise de médicaments "à leur façon" (ils ne prennent pas le calcium qui les constipe, avalent l’antihypertenseur que si la pression artérielle est élevée…). Heureusement, ils demandent de plus en plus à être impliqués dans le choix des traitements », note le Pr Legrain.

Raisonner en cascades

Chez la personne âgée, la notion de cascade est importante. « C’est une pathologie ou une déstabilisation de traitement déclenchée par une autre pathologie ou un traitement précédent. Les médecins me disent souvent y être peu formés », indique le Pr Legrain. Une dénutrition et un amaigrissement peuvent par exemple entrainer un surdosage thérapeutique chez un patient jusqu’ici bien équilibré (l’hypertendu se retrouve en hypotension, le diabétique en hypoglycémie). « Toute dénutrition, quelle qu’en soit l’origine, impose souvent de réajuster le traitement du diabète et de l’hypertension », insiste le Pr Legrain. Autre exemple, un traitement antidépresseur qui déclenche une crise d’épilepsie. Dans ce cas, il s'agit d'évoquer « la responsabilité de l’antidépresseur récemment introduit, de réévaluer sa pertinence avant de prescrire un antiépileptique », rappelle la spécialiste. Il y a risque de déstabilisation également lorsque plusieurs prescripteurs interviennent dans le parcours de soins : c'est le cas par exemple, d'un patient sous β– bloquants et diurétiques (cardiopathie ischémique + HTA) chez qui un urologue prescrit un α– bloquant (adénome de la prostate) : le patient chute. « L’hypotension orthostatique peut être potentialisée par l’α – bloquant récemment introduit », précise la spécialiste. Autre exemple, un patient de 85 ans sous anti-inflammatoires pour polyarthrite rhumatoïde chez qui un anesthésiste prescrit un anticoagulant direct en relais de l’héparine, sans prévenir le patient de l’incompatibilité avec ses anti-inflammatoires : une hémorragie massive imposera une antrectomie d’hémostase. « La priorité est de mettre le médecin traitant au cœur des décisions, mais aussi de se concerter, entre prescripteurs et avec les patients », estime le Pr Legrain.

Tableau à 2 colonnes

Les erreurs de prise et l’iatrogénie sont très souvent en cause dans les (ré)-hospitalisations en urgence des très âgés. Pour le Pr Legrain, « il est urgent de remédier à la sédimentation d’ordonnance et de réviser les traitements des patients les plus lourds ». La spécialiste recommande de « faire un tableau à 2 colonnes (d’un côté les maladies et en regard, les traitements). On visualise ainsi les 3 types d’interactions : entre maladies, entre traitements, entre maladies et traitements ». Profiter des consultations longues à la sortie d’hospitalisation, de changements dans la maladie, de l'introduction de médicaments dangereux (diurétiques, anticoagulants, chimiothérapie orale) pour revoir les antécédents et les traitements avec le patient. Il a son mot à dire sur les effets secondaires et l’observance. Le travail de formalisation actuel des documents échangés entre prescripteurs amorcera-t-il un cercle vertueux ? « Si les prescripteurs prennent à cœur de faire cette révision des diagnostics et des traitements, leur travail bénéficiera au patient et servira aux collègues suivants », encourage le Pr Legrain.

Dr Sophie Parienté

Source : Le Quotidien du médecin: 9533