Édito

Oser l’intime

Publié le 18/10/2019
Edito

Edito

C’est suffisamment inhabituel pour le mentionner. La HAS a publié des recommandations au contenu très médical sur le repérage des femmes victimes de violences au sein du couple. Avec la volonté affichée de ne plus cantonner ce sujet aux bureaux des assistantes sociales ni à ceux des postes de police et de l’amener dans le giron des médecins, notamment celui des généralistes. Dans ce texte, il n’est plus seulement question de « comment rédiger un certificat pour coups et blessures » ni de savoir « à quel moment et comment alerter les autorités », mais d’apprendre à repérer les patientes maltraitées, et de connaître les profils à risque. La HAS demande aux médecins d’aller au-devant de ce problème et d’interroger toutes les femmes sur la qualité de leurs relations de couple, comme on le fait  déjà pour leur consommation de tabac ou d’alcool.

Certes, la tâche n’est pas simple. Si de plus en plus d’étudiants en médecine sont formés au sujet, ce n’est pas le cas de leurs aînés qui rebondissent plutôt sur des appels à l’aide. Du reste, la HAS reconnaît ces difficultés et cite une étude qualitative réalisée auprès des généralistes sur leurs freins à la rédaction d’un certificat de coups et blessures dans les situations de violences conjugales. La crainte de sanctions disciplinaires ou judiciaires est l’obstacle principal, mais aussi le manque de formation. D’aucuns considèrent par ailleurs que d’autres médecins (légistes, urgentistes, hospitaliers) sont mieux à même de faire ce certificat. Le caractère chronophage de cette prise en charge entre aussi en ligne de compte, de même que sa charge émotionnelle et la crainte d’être trop intrusif. Les médecins redoutent enfin de faire l’objet de mesures de rétorsion de la part de l’agresseur, souvent connu d’eux.

Indiscutablement, il est difficile d’interroger l’intime sans risquer de heurter la patiente. C’est pourtant indispensable. Les conséquences des violences domestiques sont ravageuses pour la victime, mais aussi ses enfants (lire p. 20) voire l’agresseur lui-même. Ces patientes silencieuses, nous les connaissons forcément. Dans nos salles d’attente, trois à quatre femmes sur dix sont victimes de violences conjugales.

Dr Linda Sitruk, rédactrice en chef

Source : lequotidiendumedecin.fr