L’élection de Jeremy Corbyn à la tête du Labour

Pas de quoi envier l’Angleterre

Publié le 17/09/2015
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Jeremy Corbyn : le choix de l’irresponsabilité

Jeremy Corbyn : le choix de l’irresponsabilité
Crédit photo : AFP

Le Premier ministre conservateur, David Cameron, a conduit un programme très libéral qui a permis au Royaume-Uni de diminuer la dépense publique, d’obtenir une croissance d’environ 2,5 % cette année et de ramener le taux de chômage à moins de la moitié de celui de la France, soit une situation de quasi plein emploi. Ce faisant, le gouvernement a aussi aggravé les inégalités, comme dans tous les pays qui luttent contre la mondialisation par une réduction des coûts de production. Il y a, dans la classe ouvrière et moyenne britannique, un ressentiment contre les Tories qui remonte au bras-de-fer entre Margaret Thatcher et les mineurs. M. Corbyn, en très peu de temps, a réussi à ramener le Labour dans le giron syndical.

L’analyse la mieux partagée est que la victoire de M. Corbyn annonce le maintien du Labour dans l’opposition pendant plusieurs années encore. Il est vrai que les idées gauchistes du nouveau patron du Labour font de lui un épouvantail politique. Il n’est pas seulement le promoteur d’un socialisme anachronique, il est favorable à la dénucléarisation de son pays, à sa neutralité face aux conflits qui ravagent le monde, et un système fiscal si dur pour les possédants, les industriels et les banquiers qu’il risque fort de détruire les ressorts de l’économie britannique avant de mettre en place un système peut-être plus égalitaire mais certainement capable de mettre l’économie britannique à genoux. Bref, en l’élisant, les travaillistes ont choisi, dans leur grand désarroi, l’irresponsabilité.

Une loi inique.

M. Cameron, de son côté, devrait se méfier du phénomène Corbyn, qui répond tout de même à l’aspiration des sujets de la reine à partager plus équitablement les fruits de la croissance, ce dont le Premier ministre ne semble pas se soucier, lui qui vient de proposer une nouvelle loi hostile au droit de grève portant atteinte aux fondements de la démocratie. Le chef du gouvernement britannique s’est lancé, non sans imprudence, dans une remise en cause de l’appartenance de son pays à l’Union européenne et entend bien soumettre cette appartenance à un référendum. M. Cameron ne souhaite pas vraiment que le royaume quitte l’Europe, mais, pour des raisons purement électorales, il veut donner un gage aux eurosceptiques qui sont de plus en plus nombreux en Grande-Bretagne, notamment chez les conservateurs. Il est menacé aussi par le mouvement indépendantiste écossais auquel il a promis un référendum sur la présence de l’Écosse au sein du Royaume-Uni. En d’autres termes, non seulement la Grande-Bretagne pourrait sortir de l’Europe, ce qui lui serait très préjudiciable sur le plan économique, mais l’Écosse pourrait sortir de la Grande-Bretagne, ce qui lui serait très préjudiciable sur tous les plans.

M. Cameron ne pourra donc s’opposer à l’ascension de Jeremy Corbyn que si lui-même met un peu d’eau dans le vin de son programme. Son conservatisme à tout crin le rend aveugle aux intérêts bien compris des classes populaires et s’il ne pratique pas une politique qui, après avoir redressé les fondamentaux, ne réduit pas les inégalités sociales, il serait responsable d’un basculement de son pays dans un chaos économique et politique. Il devra, s’il veut survivre, augmenter la « dévolution » à l’Écosse, affaiblir la forte aile gauche du Labour par la prise en compte des intérêts des classes pauvre et moyenne et s’efforcer de faire gagner les europhiles au référendum dont il a imprudemment lancé l’idée. Depuis qu’il gouverne, cet élégant Premier ministre sorti d’Eton, a pratiqué l’électoralisme avec un bonheur coupable. La réaffirmation de son choix européen, le rejet des dogmes en matière économique et une politique de rassemblement des Britanniques lui seraient utiles.

Richard Liscia

Source : Le Quotidien du Médecin: 9433