« La sangsue qui régnait en souveraine, il y a un demi-siècle, est aujourd’hui tout près de disparaître, détrônée par la ventouse, simple ou scarifiée. Avant 1870, une dizaine de commerçants parisiens s’occupaient du tarif en gros de ce gibier pharmaceutique. Chacun d’eux vendait mensuellement de 300 000 à 400 000 sangsues à raison de 250 francs le mille. Aujourd’hui, Paris n’a plus guère qu’un seul établissement affecté à ce négoce ; le chiffre de son débit est tombé à 130 000 par mois ; le prix du mille à 70 et même 60 francs. L’Assistance Publique qui, en 1884, lui achetait pour 80 000 francs d’annélides, lui en prend à peine pour 200. Sans l’exportation, l’élevage ne ferait plus vivre son homme. Heureusement, les États-Unis restent fidèles à la vieille méthode ; ce sont les gros clients sur le marché de la sangsue.
L’hirudiniculteur exerçait autrefois son industrie aux environs de Bordeaux ; là, dans des marais artificiels, il nourrissait ses pensionnaires aux dépens de vieux chevaux infirmes auxquels on imposait cinq à six fois par mois des bains de pieds perfides qui les saignaient à blanc. Maintenant, on n’élève plus la sangsue, on la pêche en Croatie, en Dalmatie, en Turquie ; on l’expédie en panier comme des huîtres ou dans des caisses garnies de tourbe : arrivée en France, elle est placée au fond d’une cave obscure, dans des casiers enduits d’argile où elle attend, sans aucune nourriture, le moment de se venger sur le malade.
Si l’Assistance Publique a renoncé à ses services, l’administration de la marine y a encore recours et M. Jacques Boyer raconte une bien jolie histoire d’un bocal de sangsues acheté en 1907. Chaque bestiole, sortie du bocal, est l’objet d’une écriture : “bon de délivrance”. Or il arriva que cinq sangsues moururent de leur belle mort, sans bon de délivrance. Il fallut deux années d’enquête, de renvois aux Commissions et de rapports aux ministres pour justifier leur disparition “par cas de force majeure”. »
(La Gazette médicale de Paris, 1911)
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