Santé mentale

Poétique de la sollicitude

Publié le 27/02/2023
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Peut-on, en tant que psychiatre, aborder sans gravité le thème de la schizophrénie ? Dans Schizogrammes, un texte badin mais jamais futile, Emmanuel Venet parle de ses patients avec un mélange détonnant et salutaire de tendresse, de poésie et d’humour.

Crédit photo : La Fosse aux ours

Les éditions La Fosse aux ours enchantent régulièrement les amoureux de la langue et les curieux. En éditant Schizogrammes, du psychiatre Emmanuel Venet, elles comblent une nouvelle fois le lecteur.

Le praticien rend ici hommage à ses patients schizophrènes. Au fil d’une vingtaine d’historiettes inspirées de cas réels, il raconte son métier et, surtout, ses rencontres. On fait ainsi la connaissance de ce patient qui complète l’ordonnance du praticien sans même chercher à imiter son écriture ; de cet autre qui rédige une demande d’HLM en précisant qu’il lui faut un appartement en rez-de-chaussée « pour le cas où il tomberait par la fenêtre » ; ou encore de cet « olibrius » qui, en raison d’un impérieux besoin d’aller acheter du sucre, manque l’enterrement de son frère.

Quarante ans d’exercice auprès des psychotiques

Si ces situations, complètement farfelues pour le commun des mortels, peuvent devenir relativement banales aux yeux des soignants, Emmanuel Venet, après avoir exercé durant quatre décennies dans les hôpitaux psychiatriques, y voit encore matière à s’attendrir. Ainsi, l’auteur, qui a notamment déjà publié, dans la même maison d’édition, 49 poèmes carrés dont un triangulaire et Observations en trois lignes (sur le modèle des fameuses Nouvelles en trois lignes de Félix Fénéon), nous livre ici un texte délicieusement sentimental, ironique et érudit.

En dépit de son ton faussement léger et de ses bons mots, le praticien ne nous épargne pas le récit des souffrances de ses malades : angoisses indicibles, addictions, camisole chimique, ostracisation, mais aussi mise en danger de soi plus souvent que d’autrui… Et tire à boulets rouges sur Nicolas Sarkozy, qui avait, pendant son mandat présidentiel, exigé un durcissement de l’internement d’office des malades. La lubie du chef d’État avait, on s’en souvient, débouché sur la loi du 5 juillet 2011 sur l’hospitalisation sous contrainte – modifiée depuis. Un texte « architecturé comme un roman de Kafka » selon l’auteur, et qui, surtout, avait été conçu au détriment de patients particulièrement vulnérables.

Emmanuel Venet a pris sa retraite en 2022. À la fin de l’ouvrage, il remercie les patients pour tout ce que ces derniers lui ont enseigné, « quelque douloureux qu’ait pu être la leçon ». Ne passez pas à côté de ce petit livre tour à tour cocasse et poignant. Il s’agit d’une pépite !

Céline Reichel

Schizogrammes, Emmanuel Venet, La Fosse aux ours, 112 pages, 15 euros


Source : Le Généraliste