Un centre en Guadeloupe pour les enfants haïtiens adoptés

Pour ne pas ajouter du traumatisme au traumatisme

Publié le 11/03/2010
Article réservé aux abonnés

DES SPÉCIALISTES s’étaient ému des « déplacements en urgence » des orphelins haïtiens. Dans une lettre adressée à l’ambassadeur français des droits de l’homme, François Zimeray, le Pr Maurice Berger, chef de service associé en pédopsychiatrie (Saint-Étienne), le Dr Pierre Lévy Soussan, psychiatre (Paris) et la psychologue Sophie Marinopoulos mettaient en garde contre de telles procédures, qui, selon eux, « compromettent le processus adoptif mais aussi l’avenir psychologique des enfants, et, au pire, peuvent conduire à une maltraitance physique et psychique de l’enfant ». À la suite du séisme du 12 janvier, le ministère des Affaires étrangères avait décidé de l’acheminement des enfants pour lesquels un jugement d’adoption avait été rendu par un tribunal haïtien. Un dispositif inédit coordonné par le Dr Thierry Baubet, psychiatre à l’hôpital d’Avicenne de Bobigny et responsable de la Cellule d’urgence médico-psychologique de Seine-Saint-Denis (93), et par la psychologue Hélène Romano du CUMP du Val-de-Marne (94), avait été mis en place, à Roissy et Orly (« le Quotidien » du 27 janvier). Il a permis d’évacuer et d’accueillir 372 enfants en un mois.

117 enfants en attente.

Les acheminements ont été interrompus et une mission d’experts, dont une psychiatre et une psychologue de l’hôpital de Bobigny, s’est rendue à Haïti du 25 février au 8 mars pour évaluer la situation psychique et physique des 117 autres enfants en attente d’adoption. La mission, placée sous l’égide des ministères des Affaires étrangères et de la Santé et du secrétariat d’État à la famille, devait également formuler des propositions afin de préparer la rencontre entre les enfants et les familles.

Sur les 117 enfants en attente, 101 ont été vus par la mission et 23 apparaissent dans une situation physique et psychologique difficile. « Leur vie n’est pas en danger mais ils ont besoin de traitement », a affirmé le ministre des Affaires étrangères. Ces 23 enfants vont être évacués vers la Guadeloupe pour y recevoir des soins appropriés, selon un nouveau dispositif. Un centre médico-psychologique devrait être opérationnel à la fin de la semaine. Auparavant, les enfants étaient en transit et étaient pris en charge par la cellule d’urgence médico-psychologique du département. Désormais une unité dédiée, avec des professionnels, pédopsychiatres, psychologues, assistantes maternelles, va permettre de préparer la rencontre qui pourra se faire sur place si les familles adoptantes peuvent aller là-bas. Pour Bernard Kouchner, « cela est souhaitable ». Les 117 enfants devraient bénéficier du nouveau dispositif, acheminés par groupe de 20 environ, dans un délai d’un mois à un mois et demi.

Le Dr Baubet et Hélène Romano sont favorables au principe de ce « sas » en Guadeloupe. « Nous en avions émis le principe dès le début », expliquent-ils, regrettant une mise en place tardive avec le risque que les parents trop impatients soient réticents. « Certains se sont déjà rendus à Haïti », explique le Dr Baubet. Quant au dispositif antérieur, le médecin estime, en dépit des critiques formulées, qu’il a « plutôt bien fonctionné », compte tenu des exigences qui avaient été imposées. « Le système n’est pas idéal mais la plupart des familles ont été satisfaites de la prise en charge qui leur a été proposée à ce moment-là. Très peu ont refusé qu’on les aide et qu’on les voit », souligne le Dr Baubet. Toutefois, il reconnaît que les conditions sur place ont été difficiles. Si certaines familles ont pris le temps de la rencontre, jusqu’à « rester 8 heures sur place », d’autres « sont reparties avec un enfant encore endormi dans les bras ». Mais la plupart ont donné son accord et un numéro de téléphone pour que, dans un deuxième temps, à froid, un suivi soit instauré.

Des troubles importants.

Hélène Romano affirme, elle aussi, qu’il était « essentiel et important » que les enfants bénéficient d’une telle prise en charge. « À Orly, où trois quarts des enfants ont été pris en charge, nous avons demandé une équipe médicale pédiatrique médicale. Plus de la moitié (53 %) des enfants ont nécessité un examen médical et certains (6 %) ont dû être adressés aux urgences pour des problèmes de déshydratation aiguë ou de plaies non soignées », explique-t-elle au « Quotidien ». Sur le plan psychologique, les symptômes étaient importants « Les deux tiers avaient moins de 3 ans et, à leur arrivée, ils présentaient des troubles spécifiques d’enfants victimes d’événements traumatiques ». Ils souffraient d’inhibition des affects (75 %) – enfants hypotoniques, prostrés, les yeux dans le vide, sans aucune manifestation émotionnelle, totalement absents et ne répondant pas aux sollicitations des personnes qui s’occupent d’eux – mais aussi de troubles du comportement d’attachement (85 %) – soit avec une compliance excessive face aux sollicitations des adultes, se laissant traiter comme une poupée, soit en retrait défensif, refusant tout contact corporel – avec également des réactions de reviviscence et des manifestations de détresse majeure (hurlements de désespoir). « Certains enfants ont hurlé pendant trois heures », raconte la psychologue. Pour avoir déjà participé aux dispositifs mis en place pendant le tsunami ou en Côte d’Ivoire, elle estime toutefois que l’intensité et le type de troubles relèvent de la situation particulière de ces enfants, qui « ont été totalement projetés d’un monde à l’autre et n’avaient plus aucun repère ».

La mise en place d’un centre en Guadeloupe présente, selon elle, plusieurs avantages. L’île est à moins de 2 heures de vol d’Haïti et, ce qui « peut paraître anecdotique mais ne l’est pas, beaucoup de personnes de couleur y vivent et parlent créole. Pour l’enfant, le bouleversement sera moindre. »

 Dr LYDIA ARCHIMÈDE

Source : Le Quotidien du Médecin: 8727