L’efficacité de l’acide zolédronique pour prévenir les fractures chez les femmes ostéoporotiques a été largement démontrée. Cependant, de nombreuses patientes à haut risque de fracture n’ont pas une densité minérale osseuse (DMO) inférieure à -2,5 déviations standards, mais plutôt une ostéopénie associée à d’autres facteurs de risque, comme l’âge. L’efficacité de l’acide zolédronique chez les femmes ostéopéniques est néanmoins inconnue. Par ailleurs, l’effet rémanent de cette molécule sur le remodelage osseux est également bien connu, avec des marqueurs de la résorption osseuse qui peuvent rester bas deux ans après une seule injection. C’est dans ce contexte qu’une étude institutionnelle conduite en Nouvelle-Zélande a cherché à déterminer l’efficacité de l’acide zolédronique administré tous les 18 mois chez des femmes ostéopéniques âgées de 65 ans ou plus pour la prévention de fractures par fragilité.
Une perfusion d’acide zolédronique tous les 18 mois pendant 6 ans
Cette étude randomisée, en double aveugle, d’une durée de 6 ans, a été effectuée chez 2000 femmes ayant un T-score à la hanche (col fémoral ou hanche totale) compris entre -1,0 et -2,5 déviations standards. Les patientes incluses ont été randomisées pour recevoir soit quatre perfusions d’acide zolédronique (Zol) à 5 mg tous les 18 mois, soit un placebo selon les mêmes modalités. Elles étaient supplémentées en vitamine D et des apports alimentaires en calcium à 1g/j leur étaient recommandés. Une DMO inférieure ou égale à -3,0 au rachis lombaire constituait un critère d’exclusion. Le critère principal d’efficacité était le délai d’apparition de la première fracture non-vertébrale ou vertébrale par fragilité. Les critères secondaires comprenaient la survenue de fractures cliniquement symptomatiques, de fractures vertébrales, une perte de taille et la mortalité. Parmi les effets secondaires préspécifiés ont été colligés les cas de mort, mort subite, évènements cardio- et cérébro-vasculaires, fibrillation auriculaire et ostéonécrose de la mâchoire.
Traiter 15 patientes pour prévenir une fracture
Le taux de maintien dans l’étude était excellent autour de 96 % à 6 ans. Dans le groupe Zol, 56 femmes ont refusé de continuer après la première perfusion en raison d’une réaction pseudo-grippale. Les résultats ont montré que le nombre de patientes à traiter pour prévenir l’apparition d’une fracture était de 15, pendant 6 ans. Le risque de fracture par fragilité était réduit de 37 % sous acide zolédronique (P<0,001, voir tableau 1). Cette différence était maintenue si on excluait les patientes ayant une ostéoporose densitométrique mesurée au rachis lombaire, un antécédent de fracture vertébrale, ou un score de FRAX élevé.
Des données de tolérance surprenantes
Si aucune différence n’a été observée pour la mortalité, la prévalence des néoplasies était significativement plus faible dans le groupe Zol (OR = 0,65 [IC 95 % 0,40 à 0,89]). La mortalité par accident cérébro-vasculaire était également inférieure, avec 1 seul cas constaté dans le bras Zol contre 7 dans le groupe placébo (OR = 0,14 [IC 95 % 0,01 à 0,92]). Aucun cas d’ostéonécrose de la mâchoire, ni de fracture atypique, n’a été rapporté dans cette étude.
Thomas Funck Brentano, Centre Viggo Petersen (hôpital Lariboisière, Paris)
COMMENTAIRE :
Pr Philippe Orcel, Centre Viggo Petersen (hôpital Lariboisière, Paris)
Cette étude suggère l’efficacité de l’acide zolédronique pour prévenir les premières fractures par fragilité chez les femmes, sans antécédent de fracture, ayant une densité osseuse basse mais n’atteignant pas le seuil ostéoporotique. Ces femmes sont donc en théorie à faible risque de fracture sauf à considérer leur âge, un peu plus de 70 ans en moyenne, qui est en soi un facteur de risque important.
Il est donc intéressant de constater que, dans cette population, l’acide zolédronique permet de prévenir la survenue de la première fracture, vertébrale ou non, avec un nombre raisonnable de 15 femmes à traiter pendant 6 ans pour éviter une fracture. Le ralentissement de la perte de taille, expliqué par la diminution des fractures vertébrales, est important quand on sait la morbidité (douleurs rachidiennes chroniques, déformation en cyphose, handicap) associée à cette perte de taille. Il faut toutefois noter que les fractures de hanche ne sont pas concernées par cette réduction de risque, sans doute en raison d’un effectif insuffisant pour que cet événement soit suffisamment représenté : 12 fractures de hanche dans le groupe placebo, 8 dans le bras acide zolédronique.
Un effet rémanent du biphosphonate
L’autre point intéressant de cette étude est le rythme d’administration de l’acide zolédronique dans cet essai : une perfusion tous les 18 mois et non annuelle comme dans les deux essais pivots (2). Cette particularité souligne l’effet rémanent de ce bisphosphonate. Cette rémanence d’effet de l’acide zolédronique, maintenant bien établie dans la maladie de Paget (3), est également rapportée chez les femmes ostéoporotiques sur les marqueurs intermédiaires que sont le remodelage et la densité minérale osseuse (4). Par contre, c’est la première fois qu’une diminution du risque de fracture est suggérée avec des perfusions espacées d’acide zolédronique, ce qui peut ouvrir des perspectives pratiques intéressantes pour la prise en charge des patientes ostéoporotiques, avec un schéma de traitement encore plus intermittent.
Cette diminution de la pression thérapeutique pourrait aussi s’avérer utile pour réduire les risques : aucun cas d’ostéonécrose de mâchoire, ni de fracture fémorale atypique, n’est signalé dans ce travail. La tolérance était très bonne. La diminution des cancers et de la mortalité par accident vasculaire cérébral dans le groupe acide zolédronique est à mentionner mais peut n’être que le fait du hasard, vu le faible nombre d’événements constatés dans cette étude.
L’acide zolédronique, en administration espacée tous les 18 mois, semble donc capable de réduire la survenue de la première fracture par fragilité dans un groupe de femmes ayant une DMO basse sans ostéoporose. Cette constatation intéressante doit cependant être considérée avec précaution par le clinicien, après une évaluation soigneuse du risque individuel de fracture pour ne pas augmenter indûment les prescriptions de ce médicament anti-ostéoporotique.
(1) Reid IR et al, Fracture Prevention with Zoledronate in Older Women with Osteopenia, N Engl J Med December 20 2018, 379:2407-2416
(2) Black et al, N Engl J Med 2007; 356: 1809-22 ; Lyles et al N Engl J Med 2007; 357: 1799-809
(3) Cundy et al, J Bone Miner Res 2017; 32: 753-6
(4) Grey et al, Bone 2012; 50: 1389-93 ; McClung et al, Obstet Gynecol 2009; 114: 999-1007
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