Psychiatrie et radicalisation : comment intervenir ?

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Publié le 10/11/2016
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C'est avec prudence que le Pr Manuel Bouvard et le Dr Bernard Antoniol, respectivement pédopsychiatre et psychiatre à Charles Perrens, se sont engagés en janvier dernier dans l'expérience pilote du CAPRI, centre d'action et de prévention contre la radicalisation des individus, à Bordeaux.

« On s'est posé très sincèrement la question de notre rôle » dans ce dispositif piloté par la mairie de Bordeaux et la préfecture de Gironde, se souvient le Dr Antoniol. Neuf mois plus tard, « on se dit que notre présence n'est pas incongrue », confie-t-il.

Leur mission : « donner un avis de psychiatre sur les cas signalés au CAPRI, ayant déjà été amenés à rencontrer la psychiatrie », pour éclairer l'équipe pluridisciplinaire (réunissant des acteurs de la fédération musulmane de Gironde, de l'administration pénitentiaire, de l'éducation nationale, des services sociaux, des conseils départemental et régional, etc), explique le Pr Bouvard. « Je fais un travail de liaison et contacte les collègues qui ont déjà pris en charge un individu », dit pour sa part le Dr Antoniol.

Les psychiatres bordelais sont très conscients des enjeux que soulève la participation de leur discipline dans une structure de lutte contre la radicalisation. Ils restent pragmatiques : « La radicalisation est un processus complexe et multifactoriel. Il ne s'agit pas d'en donner une explication psychopathologique. Mais à notre niveau, dans une approche pluridisciplinaire, nous cherchons à améliorer les soins », dit le Pr Bouvard. « Force est de constater qu'il y a quelques cas psychiatriques qui relèvent de soins de psychiatrie ordinaires », ajoute le Dr Antoniol, citant des troubles psychotiques et des troubles du fonctionnement de la personnalité.

« Les troubles psychiatriques déjà repérés chez les moins de 18 ans sont rares », constate le Pr Bouvard, qui dit avoir vu au CAPRI, 2 cas de jeunes radicalisés nécessitant des soins psy. Il évoque des troubles des conduites, parfois associées à des actes délinquants ou à la prise de substances illicites. Mais il a surtout pu observer des facteurs de vulnérabilité, qui ne sont pas, pour autant, prédictifs d'une radicalisation. « Les expérimentations devraient permettre d'identifier en amont des facteurs associés à un risque de radicalisation, notamment en regardant les trajectoires » très souvent faites de ruptures, espère le Pr Bouvard. « C'est un terrain encore mal connu mais à terme, il faudrait sensibiliser les médecins et tous les intervenants » poursuit-il.

Recherche-action

Un groupe de travail réunissant psychiatres et pédopsychiatres s'est formé cet été en réponse à un appel d’offres du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation. Sa mission : à partir d'une revue de la littérature et d'auditions d'experts, rédiger un rapport « dégageant un consensus clinique provisoire, qui permettra l'élaboration d'hypothèses cliniques à vérifier par des études ultérieures » ; livrer des recommandations pour une politique de prévention (dessinant notamment l'articulation entre professionnels), et proposer des programmes de formation pour les personnels de santé.

« Les attentes sociétales sont fortes mais il y a un grand risque de simplification ou d'amalgame (qui voudrait qu'un radicalisé soit un malade qui s'ignore). Nous avons donc besoin d'une recherche-action pour se positionner et comprendre en quoi la psychiatrie est engagée », explique le Dr Jean Chambry, pédopsychiatre et membre du groupe de travail. « Il y a une pensée à construire. La radicalisation n'est pas de la psychiatrie, ni un terme clinique. Mais nous pouvons avoir notre place en tant que spécialistes du développement de l'enfant », estime le Dr Marc Bétrémieux, président du syndicat des psychiatres des hôpitaux, membre du groupe de travail. Sans oublier que les pédopsychiatres ont « l'habitude de l'interdisciplinarité et de la prévention » en pédopsychiatrie, ajoute le Dr Jean Chambry.

Une première synthèse devrait être remise en décembre, avant d'être étoffée au printemps. Parmi les défis à relever, la prévention, le repérage et l'intervention précoce, bien sûr. Mais le plus compliqué pourrait être la prise en charge des personnes déjà enfermées dans une pensée très rigide voire dans la violence, pressent le Dr Chambry.

C.G.

Source : Le Quotidien du médecin: 9533